La perte de sens des salariés, tout le monde en parle.
La perte de sens des salariés, tout le monde en parle. Derrière ce terme, souvent employé à outrance, se cache un vrai changement de paradigme : les salariés n’acceptent plus les contreparties classiques que leur donnait un emploi. En effet, les titres prestigieux ou les avantages accessoires ne sont plus au coeur des envies. D’après le Baromètre Alan x Harris Interactive dédié au bien-être mental en entreprise, ils veulent avant tout des perspectives d’évolution.
Great Resignation, Quiet Quitting, Great Attrition… La littérature RH et managériale ne manque pas d’expressions pour qualifier le contexte qui traverse actuellement toutes les entreprises : la moitié des salariés (51%) ont le sentiment de ne pas pouvoir évoluer dans leur travail.
Aussi, contrairement aux idées reçues, la perte de sens ne touche pas que les cadres urbains ! 23% des professions libérables, 26 % des employés et 28 % des ouvriers considèrent que leur emploi actuel n’a pas de sens.
Les salariés seraient-ils devenus “trop” exigeants ? La pandémie aurait-elle brisé leur motivation ? La réalité est plus complexe que cela.
Selon le baromètre T10 réalisé par Empreinte Humaine et Opinion Way, 8 salariés sur 10 estiment qu’avoir un travail est bon pour la santé mentale et 81% des salariés octroient aujourd’hui une place importante à leur travail. Le travail reste donc important pour eux mais il est moins structurant qu’auparavant : ils ne sont plus que 20% à lui conférer une place “très” importante, contre 60% en 1990.
L’idée simpliste selon laquelle les salariés ne veulent plus fournir les efforts nécessaires à leur travail est donc fausse. Ce sont leurs attentes vis-à-vis de leur employeur qui ont changé.
57% des moins de 35 ans jugent qu’il est difficile de se projeter dans l’avenir.
Si 44% des salariés envisagent de démissionner, cette envie est particulièrement exacerbée chez les moins de 35 ans : 55% d’entre eux expriment le souhait de quitter leur emploi actuel. Un chiffre alarmant qu’on peut mettre en relation avec un manque généralisé de perspectives : 57% des moins de 35 ans jugent qu’il est difficile de se projeter dans l’avenir (8 points de plus que chez les autres salariés).
Pour cette génération qui a connu très tôt la définition de “burn-out”, travail doit rimer avec sens. Pour 85% des moins de 35 ans, le travail occupe une place très importante. Ils sont plus nombreux à voir le travail comme une source d’épanouissement (55%) que comme une contrainte (33%).
Ils sont aussi les plus enclins à vouloir quitter le salariat pour un autre statut contre l'auto-entrepreneuriat par exemple : 54 %, contre 41 % pour la moyenne des salariés. Un moyen pour eux de s’affranchir du lien de subordination qui existe dans le salariat.
Ils sont donc largement prêts à fournir les efforts nécessaires s’ils se sentent soutenus dans leurs besoins d’évolution.
Dans un contexte où l'horizon semble très incertain (réchauffement climatique, pandémie, guerre en Ukraine…), la question de l’épanouissement au travail devient encore plus importante. Sans avenir, c'est aujourd'hui et maintenant que le travail doit offrir des perspectives d’évolution intéressantes. Et c’est aux entreprises d’agir.
Les salariés attendent donc de leur entreprise d’être proactive et un accompagnement concret. Ce souhait est encore loin d’être exaucé : 44% des salariés estiment que leur employeur ne met en place actuellement aucune solution pour les aider à trouver du sens à leur travail.
“Évoluer” n’a pas la même signification pour tous. Pour certains, progresser passe par une augmentation de salaire, tandis que d’autres préfèrent plutôt changer de métier ou plus de flexibilité pour rééquilibrer le partage vie pro - vie perso. Influencées par les confinements qui ont rebattu les cartes de nos priorités, les “perspectives d’évolution” peuvent donc prendre des formes très différentes selon les situations.
Selon le baromètre Alan, 40% des employés et ouvriers considèrent qu’une augmentation de salaire les aiderait dans leur quête de sens. Ce besoin s’est accentué lors de la crise COVID-19 : d’après une étude McKinsey, sur les 35% d'employés qui ont changé ou envisagé de changer de métier durant la pandémie, une écrasante majorité a cité le fait de gagner plus d'argent comme principale motivation.
La crainte d’une récession économique, les débats autour des retraites et l’inflation aggravent ce contexte déjà très détérioré par la crise sanitaire. Cependant, les salariés n’attendent pas grand-chose de leur employeur actuel pour faire changer la situation.
En effet, changer d’entreprise semble être la meilleure option : selon un sondage Glassdoor, 64% des salariés pensent qu’il faut changer d’entreprise pour obtenir une augmentation de salaire – un nombre qui s’élève à 69% chez les 18-34 ans. Un chiffre confirmé dans une étude réalisée par Forbes : aux États-Unis, les employés qui restent plus de deux ans dans la même entreprise gagneraient deux fois moins que ceux qui changent fréquemment d’employeur au cours de leur vie. En France, l’Apec affirme que le changement d’entreprise optimise la progression salariale.
Tous les salariés n’envisagent pas de quitter leur entreprise pour évoluer ou obtenir une meilleure rémunération. Selon une étude réalisée par Welcome to the Jungle, plus les employés sont jeunes, plus ils sont attirés par une mobilité verticale, soit gravir les échelons. Plus ils sont seniors, plus ils sont séduits par la mobilité horizontale et la possibilité de changer de métier au sein de la même entreprise. Les entreprises ont un rôle clé à jouer ici pour former leurs collaborateurs à de nouveaux métiers.
Cette volonté d’amélioration en continu s’explique notamment par le contexte économique. Elle permet aux salariés de soigner leur “employabilité” et de mieux s’adapter aux changements.
Cette envie de formation est particulièrement vraie chez les cadres : selon le Baromètre Alan x Harris Interactive, près d’1 cadre sur 4 souhaite que son employeur lui présente des perspectives d’évolution claires et qu’il facilite sa progression en interne via la formation.
On peut progresser en acquérant de nouvelles compétences, ou bien en encadrant des équipes. Cependant, force est de constater que le rôle de manager ne fait pas rêver : 7 salariés sur 10 ne souhaitent pas devenir manager et 1 manager sur 3 regrette de l’être devenu d’après le baromètre T10 réalisé par Empreinte Humaine et Opinion Way.
Il faut dire que les managers sont particulièrement exposés au surmenage car leur rôle s’est fortement complexifié au fil des années. Avec le travail hybride, ils sont devenus les garants de leur bien-être, tout en veillant à l’atteinte des objectifs imposés par le top management. Toujours selon le baromètre Empreinte Humaine et Opinion Way, 43% des managers sont exposés aux problèmes de santé psychologique.
Ayant vu les conditions de travail et la santé mentale des managers se dégrader, les salariés n’ambitionnent donc pas d’accéder à ce statut qui subit généralement une forte pression et des horaires à rallonge. Pour ces salariés, il s’agit alors de travailler autrement (voire moins) pour vivre mieux. Pour les cadres, l’équilibre entre vie pro et vie perso est aussi important que la rémunération.
On peut noter que 40% des femmes font de leur équilibre vie pro - perso une priorité, contre 27% des hommes. Gérant encore très largement le travail domestique, les femmes accèdent beaucoup moins aux postes de managers que les hommes : en France, une femme a presque deux fois moins de chance qu’un homme de devenir manageuse, directrice ou cadre dirigeante d’après une étude Céreq. Leurs perspectives et envies d’évolution peuvent donc être entravées.
L’autonomie fait partie des attentes les plus fortes des salariés. Le dernier baromètre Alan a révélé que 21 % d’entre eux considèrent qu’il est important d’être autonome dans le cadre de leur mission et de la réalisation de leur travail. Ce sentiment d’agentivité donne une meilleure vision des perspectives d’évolution puisque, dans ce cas, le salarié est pleinement en contrôle de sa trajectoire.
En ligne avec cette idée de lien entre autonomie et capacité de projection, il est intéressant de noter que les personnes qui pratiquent le télétravail considèrent avoir une bonne vision de leurs perspectives d’évolution. C’est le cas 61% pour les télétravailleurs de façon générale et 65% pour les télétravailleurs qui travaillent 5j/5 à distance.
On trouve la même tendance chez les indépendants (agriculteurs, artisans, commerçants et chefs d'entreprise) : 86% d’entre eux estiment avoir une vision claire de leurs perspectives d’évolution. Étant par définition leur propre patron, ils fixent leurs objectifs et décident des moyens à engager eux-mêmes.
Malgré toutes leurs bonnes intentions, les employeurs ne savent pas ce que veulent les employés. Ils ont par exemple tendance à surévaluer l’importance d’avantages intangibles, comme la position hiérarchique, alors que les employés recherchent tout autre chose : 58% des salariés opérationnels visent un poste hiérarchique plus important mais 78% ont comme objectif principal de gagner plus.
Il est urgent pour les entreprises de s’emparer du sujet et de donner plus de perspectives aux employés pour des raisons de productivité immédiate (donner du sens au travail engendre davantage de motivation et de productivité pour près de 9 salariés sur 10) mais aussi pour le plus long terme. En effet, former les employés à de nouvelles compétences et les accompagner dans leur évolution permettrait aux entreprises de lutter contre le turn-over et l’obsolescence des compétences. Celle-ci s’accélère fortement : d’après McKinsey, jusqu’à ⅓ des activités pourraient être remplacées d’ici 2030, ce qui contraindrait 75 à 375 millions de travailleurs à changer de métier.
Il est toujours plus économique pour une entreprise de former et de garder un employé sur le long terme plutôt que d’en recruter un nouveau. L’adage est bien connu mais souvent difficile à mettre en place !
Si l’on propose aux salariés des parcours intéressants, ils sont plus enclins à rester dans l’entreprise. Selon une étude Welcome to the Jungle, la possibilité de changer de métier au sein de la même entreprise est une option attractive pour 70% des salariés et 78% des plus de 45 ans.
En orientant les collaborateurs vers des compétences qui seront stratégiques pour les prochaines années, les entreprises répondront aux enjeux stratégiques tout en favorisant l’engagement et la rétention des collaborateurs. Pour cela, il est indispensable pour les entreprises de cartographier les compétences que leurs employés maîtrisent déjà et celles qui sont manquantes. Il leur sera ainsi plus simple de proposer les formations les plus adéquates et de leur présenter de nouvelles opportunités.
Se contenter d’une communication “corporate” sur son site Carrières ne suffit pas. Les salariés ont besoin d’informations transparentes sur leurs possibilités de progression. Une étude réalisée par McKinsey a notamment révélé qu’un tiers des employés opérationnels disent ne pas ou peu recevoir d’informations sur ce sujet.
Ce chiffre alarmant suggère que les entreprises ne reconnaissent pas l’avancement de carrière comme un objectif majeur pour ces employés. Pourtant, la formation n’est pas réservée qu’aux cadres de l’entreprise. Il faut donner de l’importance à toutes les volontés de progression : 30% des employeurs indiquent proposer des formations en dehors du lieu de travail à leurs employés, mais seulement 12% des employés opérationnels pensent y avoir droit.
Les employeurs ont également tout intérêt à publier leur grille salariale et à communiquer leurs clés de lecture. Les salariés doivent comprendre les attentes précises de leur employeur pour chaque poste afin de se projeter dans la prochaine étape de leur carrière.
Enfin, cette transparence permet de réduire l’écart salarial hommes - femmes. En effet, quand les salaires ne sont pas transparents, les femmes se trouvent désavantagées face aux hommes qui ont tendance à se sentir plus à l’aise pour discuter de leur évolution avec leur manager. Selon cet article publié par Indeed, 41% des femmes se déclarent très ou assez mal à l’aise dans cet exercice, contre 21 % des hommes.
Même si son statut ne fait plus rêver, le manager direct reste l'interlocuteur privilégié des salariés pour recueillir les envies de progression. 62% des salariés éprouvent le besoin d’échanger avec leur manager sur leurs perspectives d’évolution ou sur l’organisation du travail. Cependant, seulement 33% des salariés déclarent qu’ils vont oser le faire durant ces prochains mois et 32% d’entre eux pensent que leurs managers adaptent la formation à leurs besoins réels.
Les nouvelles aspirations des salariés poussent les entreprises à revoir leur portrait-robot du manager idéal. Ce n’est plus un supérieur hiérarchique directif et distant, mais plutôt un manager “connecteur”. Plus empathique, à l’écoute et axé sur les résultats (et non la façon dont ils sont obtenus), ce type de manager pourrait permettre de rendre son statut plus attractif.
Article rédigé par Marion Bernes.