De nombreux travailleurs cherchent à être réellement utiles à leur entreprise et à la société, et que leur contribution soit valorisée par leur employeur.
Loin d’être une aspiration réservée à quelques classes sociales privilégiées, la recherche de sens et de reconnaissance au travail infuse toute la société. La crise COVID-19 a notamment mis en lumière le besoin pour beaucoup de salariés de se sentir “vraiment utiles” pour leur entreprise, voire pour la société. Quel que soit leur secteur d’activité, les salariés souhaitent voir leur singularité et leurs efforts reconnus par leur entreprise.
Or, d’après le Baromètre Alan x Harris Interactive dédié au bien-être mental en entreprise, 1 salarié sur 2 estime ne bénéficier d’aucune reconnaissance pour son travail. Comment l’expliquer ? Pourquoi la reconnaissance au travail est-elle si importante ? Comment les employeurs peuvent-ils montrer leur reconnaissance (autrement qu’en disant “merci”) ? Quelles bonnes pratiques pour changer la donne ?
Dans leur majorité, les salariés français estiment que leur employeur ne reconnaît pas suffisamment leur travail, quel que soit leur genre ou catégorie socioprofessionnelle.
En revanche, ce manque de reconnaissance est significativement plus prononcé pour :
Les salariés des secteurs de la santé et du commerce de détail : 6 salariés sur 10 déclarent ne bénéficier d’aucune reconnaissance de leur hiérarchie, contre seulement un tiers pour les salariés de la construction et de la banque / assurance.
Les jeunes générations : 52% des moins de 35 ans ont le sentiment de ne pas être reconnus dans leur travail, contre 45% des plus de 50 ans.
Etant donné que les salariés qui souffrent le plus du manque de reconnaissance sont aussi les plus mal payés, on peut se demander : la reconnaissance au travail est-elle seulement d’ordre financier ?
La réponse est plus complexe. En effet, il semblerait que le problème soit particulièrement présent en France.
Les salariés seraient-ils plus reconnaissants en étant mieux payés ? Une étude de la Fondation Jean Jaurès prouve le contraire : 72% des salariés britanniques estiment que leur travail est reconnu à sa juste valeur. Ce chiffre monte à 75% en pour les salariés allemands.
Pourtant, les grilles de salaires pratiquées dans ces pays ne sont pas réputées pour y être plus avantageuses qu’en France et le rapport au travail est similaire dans ces pays : les scores de satisfaction à l’égard du travail sont importants et presque identiques dans ces trois pays.
Si cela est possible dans d’autres pays, pourquoi la France est-elle autant à la traîne ? On peut en partie l’expliquer par notre culture managériale. En effet, selon une étude réalisée en 2019 par l’Ifop, le management français n’incorpore pas assez de pratiques propres à la reconnaissance du travail :
46 % des salariés indiquaient l’existence dans leur entreprise d’efforts en termes de valorisation des efforts et résultats.
40 % considéraient la célébration des succès comme fréquente.
59 % mentionnaient l’existence d’initiatives managériales telles que la reconnaissance du droit à l’essai et à l’erreur.
55 % soulignaient la présence de marques d’encouragement à la prise d’initiatives individuelles ou collectives.
52 % indiquaient des efforts de leur employeur pour le partage de retours d’expérience pour valoriser ou faire progresser les collaborateurs.
En plus d’être des marques de reconnaissance, ces pratiques sont pour les salariés des marques de respect — trait managérial universellement reconnu comme le plus important.
Le cadre managérial français laisse peu de place à l’expression des émotions dans le cadre professionnel. Par exemple, rares sont les managers et dirigeants français qui se montrent vulnérables et parlent de leurs échecs, à l’opposé des pays anglo-saxons où l’erreur est considérée comme une source d’apprentissage.
Contrairement à ces pays, la France entretient un rapport à l’échec très négatif. Ce rejet peut en partie s’expliquer par un système éducatif qui s’appuie sur une notation rigide se focalisant surtout sur les erreurs, plutôt que sur les points positifs et les progrès. Les modèles éducatifs anglo-saxons, comme ceux d’Europe du Nord, ont plutôt tendance à valoriser les évolutions positives et à encourager les élèves.
Aux Etats-Unis, pays du Thanksgiving, l’expression de sa gratitude est même considérée comme indispensable. Pour Charles Sellen, chercheur canadien, l’expression de sa reconnaissance est même profondément inscrite dans l’ADN américain. Selon lui, les “traits psychologiques fondamentaux” des Américains comme “la confiance en l’avenir, l’expression sincère d’une gratitude envers la vie, l’appartenance à une communauté” en font les champions de la gratitude au travail.
65% des salariés qui ne se sentent reconnus dans leur travail envisagent de démissionner de leur emploi actuel, soit 20 points de plus que sur l’ensemble des salariés français ! La reconnaissance devient alors plus que nécessaire pour permettre aux entreprises de retenir leurs collaborateurs.
Il est donc important de se pencher sur les racines de ce besoin de reconnaissance. En effet, c’est en comprenant les motivations des salariés que les employeurs réussiront à mettre en place des stratégies vraiment efficaces en termes de reconnaissance.
La place du travail a fortement évolué ces dernières années. En effet, en plus d’apporter une rémunération régulière, le travail est devenu une source d’épanouissement et d’accomplissement : pour 84 % des salariés français, travailler donne du sens à la vie.
L’employeur devient donc à la fois responsable de leur bien-être et de leur quête de sens. Cependant, 44% des salariés estiment que leur entreprise ne met en place aucune solution pour les aider à trouver du sens à leur travail.
Reconnaître les efforts d’un salarié donne une autre dimension à son travail : il ne travaille plus seulement en “vase clos” puisque son travail est reconnu par un autre collaborateur ou son supérieur hiérarchique.
Quand un manager exprime sa reconnaissance à un salarié, il valorise son individualité en tant que personne et non en tant qu’employé. Il met en valeur son identité et son expertise propres.
La contribution du salarié est donc humanisée, il ne se sent plus comme un simple rouage perdu au milieu d’une grande machine productiviste. Il a l’impression d’apporter de la valeur à son entreprise (voire, dans certains cas, à la société).
Cette reconnaissance est d’autant plus importante dans un contexte - celui de l’entreprise, qui peut tendre à uniformiser les usages et comportements et dans lequel l’idée du remplacement des humains par des machines est fréquemment invoquée.
Même s’il est profondément remis en question, le travail reste structurant pour la vie des salariés français. En effet, d’après le dernier Baromètre Alan x Harris Interactive dédié au bien-être mental en entreprise, 81% des salariés octroient une place importante au travail.
Cette place du travail est particulièrement notable chez les moins de 35 ans : 85% d’entre eux estiment que le travail occupe une place importante dans leur vie, contre 75% des plus de 50 ans. À noter, les salariés de moins de 35 ans sont aussi ceux qui demandent plus reconnaissance de la part de leur hiérarchie.
On voit donc que les salariés restent attachés à leur activité professionnelle mais qu’ils ne veulent plus accomplir un travail sans reconnaissance et sans sens. Près de 2 salariés sur 3 sont désormais prêts à gagner moins d’argent pour exercer un travail qui a plus de sens.
Pour beaucoup d’employeurs et de managers, la reconnaissance au travail se limite à l’expression de remerciements publics ou bien à la distribution d’une prime. Mais cela est trop réducteur !
En effet, il est possible pour l’employeur de montrer sa reconnaissance de différentes façons.
Première chose à comprendre : l’argent n’est pas le langage universel de la gratitude. Sandra Ottavi, DRH de Courir, le résume bien : “La reconnaissance peut être financière mais ce serait très réducteur de la réduire à ça. Un manager peut par exemple montrer sa reconnaissance à ses collaborateurs en leur confiant plus de responsabilités, en leur proposant des formations pour progresser, en organisant plus d’événements pour la cohésion d’équipe…”
En effet, contrairement à ce que pense Don Draper, les dispositifs financiers ne suffisent pas. Ils ne sont pas pérennes et ne permettent pas d’améliorer les conditions de travail sur le long terme, même s’ils peuvent être motivants et gratifiants sur le moment.
Pour Zwi Segal, docteur en psychologie du travail, les effets d’une augmentation sur la motivation restent limités : “Croire qu’une augmentation va motiver un salarié à long terme est une erreur. L’effet d’une augmentation salariale sur la motivation ne dure que deux à trois semaines.”.
Au-delà des remerciements et félicitations publiques, reconnaître le droit à l’erreur et encourager la prise d’initiatives en tant qu’employeur permet aux collaborateurs de se sentir reconnus pour leur travail.
En effet, ces pratiques structurelles envoient plusieurs messages :
“Expérimentez” : l’innovation ne fait pas sans expérimentation et tâtonnements. L’erreur n’est plus perçue comme un risque pour l’entreprise, mais comme une opportunité.
“Je vous fais confiance” : l’employeur montre qu’il fait confiance aux collaborateurs, il sait qu’ils prendront leurs responsabilités.
Ces pratiques permettent l’instauration d’un climat de sécurité psychologique pour les salariés. Cependant, pour qu’elles soient vraiment efficaces, l’employeur doit redoubler ses efforts en termes de communication. Le partage de feedbacks réguliers et constructifs doit faire partie du quotidien des collaborateurs pour apprendre de leurs erreurs et rebondir. À terme, les collaborateurs sont plus productifs et peuvent ainsi mener des projets de bout en bout.
Enzo Colucci, créateur du podcast Phénix (consacré au rebond d’entrepreneurs après un échec), souligne l’importance du feedback dans un cadre où le droit à l’erreur est reconnu : “Le contrepied parfait de l’échec, c’est la mise en mouvement et le partage. L’échec nous donne souvent envie de nous mettre en boule tout seul dans notre coin. En partageant des perspectives avec les autres, on va pouvoir surmonter l’échec et avancer.”
Vous pouvez faire l’expérience autour de vous : personne ne définit la reconnaissance de la même façon. Elle prend des formes différentes pour chaque individu en fonction de son expérience et de sa personnalité.
La reconnaissance peut être collective ou individuelle :
Quand elle est collective, l’employeur reconnaît les efforts de toute une équipe. Il favorise ainsi l’effet de groupe et le sentiment d’appartenance.
Quand elle est individuelle, l’employeur souligne le travail spécifique d’un collaborateur.
Les collaborateurs ne sont pas sensibles de la même façon à ces deux types de reconnaissance. Certains ont besoin d’expérimenter un fort sentiment d’appartenance et valoriseront les marques de reconnaissances publiques. D’autres préfèrent des gestes plus “privilégiés” car ils ont besoin d’être reconnus dans leur individualité.
Les employeurs doivent donc constamment trouver le bon équilibre entre l’individuel et le collectif. La reconnaissance collective n’est pas plus importante que la reconnaissance individuelle (et vice-versa), elles sont complémentaires !
Depuis la crise COVID-19, le rôle du manager s’est profondément complexifié. Il doit à la fois organiser le télétravail, fixer les objectifs de son équipe, les motiver, construire leurs plans de carrière, vérifier la délivrabilité du travail fourni, recueillir les demandes… En plus de tout cela, il doit féliciter ses collaborateurs et à leur donner suffisamment de marques de reconnaissance.
Or, pour que les salariés se sentent véritablement reconnus, le manager n’est pas le seul responsable. En effet, le rôle de l’organisation dans sa globalité est souvent ignoré. C’est pourtant à la direction de créer une culture d’entreprise adéquate et des conditions propices au développement de bonnes conditions de travail.
Sans cet appui organisationnel, la marge de manœuvre des managers est faible. Un manager pourra par exemple féliciter individuellement et collectivement ses collaborateurs, sa reconnaissance sera minimisée si le cadre de travail est stressant, rigide et peu porté sur l’épanouissement des salariés.
Au-delà de retours réguliers sur le travail accompli, la reconnaissance au travail permet aux collaborateurs de se projeter dans le temps au sein de l’entreprise.
En effet, en permettant d’exprimer les attentes, les marques de reconnaissance donnent aux salariés la possibilité de comprendre ce que leur entreprise attend d’eux. Avec plus de confiance, ils peuvent également ainsi mieux se projeter dans la prochaine étape de leur carrière.
Découvrez l’ensemble de l’analyse et des chiffres clés sur le bien-être mental en entreprise dans la seconde édition du Baromètre Alan x Harris Interactive!
Article rédigé par Marion Bernes.