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      « Une femme CEO, cela ouvre un “possible” et la porte à d’autres diversités » Entretien avec Cécile Béliot, CEO du Groupe Bel

      C’est quoi, être un modèle dans une grande entreprise aujourd’hui ? C’est avec cette question que nous sommes allés voir Cécile Béliot, CEO du Groupe Bel, dont les marques sont distribuées dans 130 pays et qui compte plus de 13 000 salariés dans le monde. Une discussion qui a ensuite amené d’autres thématiques passionnantes : l’impact d’une entreprise sur la société, le rôle qu’elle se donne, l’implication de ses salariés dans ce rôle, et évidemment, la question de la santé au travail.

      « Une femme CEO, cela ouvre un “possible” et la porte à d’autres diversités » Entretien avec Cécile Béliot, CEO du Groupe Bel
      Avec
      Aurelie Fliedel
      Aurelie FliedelChief marketing officer
      Mis à jour le
      25 juin 2024
      Avec
      Aurelie Fliedel
      Aurelie FliedelChief marketing officer
      Mis à jour le
      25 juin 2024
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      Aurélie Fliedel : Pour commencer cette interview, cela m'intéresserait d'en savoir un petit peu plus sur vous, sur votre parcours. Comprendre ce qui vous a amenée au poste que vous avez aujourd'hui, les grands moments, les personnes inspirantes qui ont jalonné votre carrière ?

      Cécile Béliot, CEO du Groupe Bel : J’ai passé la majorité de ma carrière chez Danone et Bel. Ces deux entreprises partagent une forte culture de sens et d'engagement, avec des racines profondes dans des valeurs sociales et familiales. Chez Danone, j'ai été influencée par le concept de double projet économique et social d'Antoine Riboud. Puis chez Bel, c’est l'approche intergénérationnelle qui m'imprègne, car l'entreprise pense toujours à long terme. Et quelque part, ça n’est pas un hasard que je sois restée dans “l’alimentation”. Pour moi, c’est d’une importance fondamentale, bien au-delà d'une simple marchandise ; c'est un droit humain. Cette prise de conscience s'est renforcée durant le COVID, qui a montré l'importance des métiers essentiels, comme ceux de l'alimentation et de la santé.

      Mon parcours a été marqué aussi par des mentors, notamment des femmes à la fois dirigeantes et mères de famille — je pense à Myriam Cohen-Welgryn de L'Oréal. Cela m'a prouvé que l'équilibre entre vie professionnelle et personnelle est possible, et que l’on n’a pas à faire une croix sur l’un ou l’autre.  Antoine Fiévet, Président du Groupe Bel, reste également une source d'inspiration majeure pour moi ; pour lui, il n'a pas hérité de l'entreprise, il l'a emprunté à la génération d'après. Quand on a ces valeurs-là, on ne peut pas ne pas voir les grands sujets de société, comme le climat, la biodiversité ou le bien-être des agriculteurs.

      A. : Vous parliez de modèle : aujourd'hui, j'imagine que c'est vous, le modèle, pour beaucoup de salariés chez Bel. Comment le vivez-vous ?

      C.B. : Pour moi, être un “modèle”, c’est une responsabilité significative, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de l'entreprise. Je veux montrer que c'est possible d’avoir une carrière sans sacrifier d’autres aspects importants de sa vie, comme sa féminité ou sa famille. Cela ne veut pas dire tout avoir en même temps, ou refuser toute aide extérieure, mais bien qu’on n’a pas à abandonner une de ces trois dimensions qui nous constituent, qui me constituent. Une femme CEO, cela ouvre un “possible” et la porte à d’autres diversités pour une entreprise Bel plus inclusive. C’est donc à la fois une responsabilité et un combat pour moi, celui de la diversité sous toutes ses formes.

      A. : Comment est-ce qu'on allie justement résultats court terme, résultats financiers et cette vision plus long terme et l'impact positif que vous voulez porter ?

      C.B. : L’idée chez Bel, c’est de ne pas séparer les résultats financiers des objectifs à long terme. Pour nous, la création de valeur se définit à travers une “double performance”, financière et extra-financière. C’est quelque chose ancré au plus profond de Bel. Par exemple, nous avons remplacé le poste de directeur financier par des directeurs de l'impact global, pour ainsi englober ces deux aspects dans le pilotage de notre performance. Nos processus, y compris les revues de performance mensuelles et notre planification stratégique sur cinq ans, évaluent les résultats financiers et les objectifs RSE avec le même niveau d'importance. C’est donc naturellement que Bel devient officiellement une “entreprise à mission” en mai.

      Nous sommes même en train de travailler, et ça c'est un peu mon rêve, avec des universités pour définir ce qu'on va appeler le “true profit”, la vraie création de valeur de l'entreprise, analysée de manière plus holistique, en incluant les externalités négatives mais aussi positives. Comme par exemple l’impact de notre approche d'achat de lait, où nous payons à nos éleveurs-partenaires une rémunération qui encourage et permet de déployer des pratiques d'agro-écologie. Cela contribue à des bénéfices environnementaux tangibles, mais que nous ne quantifions pas encore dans notre bilan financier traditionnel.

      A. : Bel devient officiellement une entreprise “à mission” en mai. Quelle portée a cette mission pour vous ?

      C.B. : Une portée sociétale et mondiale. Aujourd'hui, quand nous regardons les chiffres qui concernent le système alimentaire mondial, il y a d’énormes problèmes : 800 millions d'obèses, autant de personnes souffrant de faim, des impacts environnementaux majeurs — émissions de carbone, utilisation intensive de l'eau... Notre vision, c’est de faire de l'alimentation non pas une source de problème, mais bien une solution. Cela passe par des pratiques agricoles régénératives, la réduction du gaspillage alimentaire, et bien d’autres initiatives existantes que nous nous engageons à promouvoir pour créer un impact positif autant sur l'environnement et la santé humaine.

      A. : Et comment implique-t-on ses salariés dans une mission aussi forte ?

      C.B. : À notre plus grand bénéfice, la mission de Bel a un rôle majeur dans l’attrait et la rétention de nos talents. Mais ça ne s’est pas fait “au hasard”. Cela a été le fruit d’une longue réflexion. Nous sommes partis du principe qu’il était capital, pour chaque salarié, de se sentir acteur de la mission de Bel. Nous avons mis en place un programme de transformation pour sensibiliser et engager nos 12,000 salariés. 

      Un, je suis conscient, deux, je suis acteur, et trois, enfin, je deviens un activiste. 

      D’abord, “je deviens conscient”, qui vise à éduquer chacun sur les liens entre alimentation, climat et santé. La prise de conscience, c’est là où tout se joue. Puis il s’agit de rendre chacun acteur, de définir “sa” contribution à la mission de Bel. Par exemple, nos directeurs achats ne négocient plus seulement sur les prix, mais aussi sur des primes à la transition écologique, ce qui transforme radicalement leur rôle et leurs interactions. Enfin, devenir un activiste c'est quoi ? C'est ce que je fais avec vous, c'est partager avec l'ensemble de nos concitoyens sur les enjeux de l'alimentation. C’est faire bouger l'écosystème. Et ce que nous avons fait avec Carrefour, en travaillant sur un contrat commercial qui va au-delà du transactionnel habituel.

      A. : Vous décrivez le leadership comme ceux et celles qui fournissent le cadre et font émerger les bonnes discussions dans l’entreprise. Quel rôle vous donnez-vous dans la prise de décision ?

      C.B. : Bien que nous soyons une grande entreprise, peut-être être moins agile que d’autres plus petites comme Alan, notre processus de prise de décision reste distinctif grâce à notre approche “performance et durabilité”. Ce n'est jamais un processus parfait ; c'est souvent un mélange de progrès et de compromis, mais sans perdre de vue l’objectif ultime.

      Par exemple, dans des régions qui présentent des difficultés économiques, comme l'Afrique subsaharienne, nous pouvons temporairement ajuster nos exigences environnementales pour maintenir l'accessibilité à une bonne nutrition, tout en ayant des plans pour revenir à des pratiques plus durables à moyen terme. Notre leadership est encouragé à prendre des décisions autonomes, en particulier au niveau local, ce qui augmente notre réactivité. Un cadre clair et bien défini aide ainsi nos dirigeants à prendre des décisions conscientes et alignées avec notre mission globale : c’est comme cela que nous arrivons ainsi à avoir une gestion plus agile et adaptée à chaque contexte

      A. : Tout à l'heure, vous avez rapidement évoqué les tensions qui pouvaient exister entre tout le spectre des âges dans l'entreprise et notamment avec la Gen Z. J'imagine que la mission de l'entreprise, les valeurs que vous portez, résonnent beaucoup avec cette génération qui est en quête de sens.

      C.B. : Bien sûr !

      A. : Comment l’abordez-vous ? J'imagine que c'est un argument pour attirer ces talents et les retenir ?

      C.B. : Oui, la mission de Bel attire et retient les talents de toutes les générations, et pas seulement la Gen Z. Pour nous, il n’y a pas que les jeunes générations qui cherchent du sens dans leur travail. Chez Bel, des salariés de tous âges, ayant des enfants ou des petits-enfants, sont également attirés par notre mission car ils sont conscients de l'héritage qu'ils laissent derrière eux. Et nos enquêtes annuelles internes montrent clairement que la mission de l'entreprise est un puissant moteur d'engagement et de motivation pour tous, pas uniquement pour les jeunes !

      A. : Évidemment, santé et alimentation sont intrinsèquement liées. Aujourd'hui, chez Bel, comment est-ce que vous appréhendez cette question de la santé ? 

      C.B. : Nous avons choisi d’aborder la santé sous l'angle de la bienveillance (“care”), c'est-à-dire en y incluant la sécurité et le bien-être au travail. Tout d’abord, nous assurons une sécurité optimale dans nos usines pour prévenir les accidents — c’est la base de notre engagement envers la santé de nos salariés. Au-delà de cette sécurité physique, nous promouvons également un environnement de travail inclusif et bienveillant.

      Cela fait partie de notre mission : connecter la nutrition à la santé. Nous avons redéfini notre activité, passant de la vente de fromage à celle de “portions de bien manger”, comme nos produits à base de fruits sans sucre ajouté. Mais on essaye d’aller plus loin que la santé du consommateur et des salariés, en prenant également soin de notre écosystème élargi. Je pense notamment aux éleveurs, à qui nous garantissons des prix décents pour soutenir à la fois leur revenu et leur capacité à adopter des pratiques durables.

      A. : Pour synthétiser et finir l'entretien, vous avez parlé de la bienveillance, du care comme valeur de Bel. Quelles sont les autres valeurs ?

      C.B. : Elles sont au nombre de deux: “dare” et “commit”. “Dare”, qui signifie oser, reflète notre engagement envers l'innovation et l'audace qui est ancrée dans notre ADN. La création de La Vache qui rit, par exemple, il y a plus de 100 ans, était un acte d'audace avec l'introduction des portions de fromage individuelles protégées par de l'aluminium, une innovation majeure à l'époque ! Cette tradition d'innovation se poursuit avec des produits uniques comme le Mini Babybel et nos apéritifs en cubes, fabriqués par des machines propriétaires et exclusives à Bel.

      La dernière valeur, ”commit”, se rapporte à notre engagement. Elle se traduit par une forte adhésion de nos salariés à la mission de l'entreprise, qui sont prêts à relever les défis pour réaliser notre vision, à prendre des décisions stratégiques qui soutiennent notre modèle d'affaires tout en respectant nos principes éthiques.

      Publié le 24/06/2024

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