![[Webinaire] Déployer l’IA en collectivité : de la stratégie à l’exécution](https://6vvt7k9n.twic.pics/v1/output=preview/image:contentful/ujr6ykb2q1mo/14A6LHIeLH2ZknH8pmXEwE/1f5b6785b8c774274682761867c902de/FPT_Webinar_-2_template_-_LinkedIn.png)
28% des collectivités territoriales prévoient de lancer un projet IA dans les 12 prochains mois. Ce chiffre monte à 49% pour les collectivités de plus de 3 500 habitants. Mais comment passer de l'intention à l'action ? Comment embarquer les agents sans perdre le contrôle ? Retour sur un webinaire riche d'enseignements avec Aymeric De Maussion, Directeur IA à la Région Pays de la Loire, et Stéphane Rochon, Directeur Général des Services à la Ville de Biarritz.
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Le constat est paradoxal. D'un côté, l'intelligence artificielle suscite un intérêt croissant dans les collectivités territoriales. De l'autre, plus d'un Français sur deux déclare ressentir de l'inquiétude, voire du rejet vis-à-vis de l'IA - un chiffre en augmentation depuis 2022 (36%).
Ce double mouvement se retrouve au cœur des organisations publiques elles-mêmes. Comme le souligne Stéphane Rochon : "On a fait un petit sondage en interne : 50% de convaincus, des gens qui en font l'usage, puis il y en a 50% qui sont réticents. Il faut permettre l'expression de ces réticences et voir comment on peut travailler à partir de ces résistances."
La clé ? Conduire la transition plutôt que la subir.
À la Région Pays de la Loire, l'approche est structurée autour d'un poste inédit dans les collectivités : Directeur IA, rattaché directement au DGS. "La présidente m'a dit : 'C'est étrange de séparer l'économique et le numérique, il faut faire du lien entre les deux'", explique Aymeric De Maussion. Ce positionnement permet une vision 360° et favorise le "petit jeu de jambes" entre le monde économique - où l'on peut sourcer des solutions - et l'interne.
À Biarritz (25 000 habitants, 900 agents), l'approche est différente mais tout aussi réfléchie. Stéphane Rochon a privilégié une démarche collective : "Je suis assez réservé personnellement sur l'idée d'un laboratoire interne. On a plutôt créé des communautés d'intérêt : des agents de catégorie A, B et C qui s'intéressent à l'IA et embarquent progressivement l'ensemble de la collectivité."
Un point commun : les deux collectivités ont profité d'opportunités locales. La Région Pays de la Loire s'appuie sur SwiftTask, une solution locale, tandis que Biarritz a été la seule administration à intégrer un "défi pionnier" organisé par Le Connecteur (Crédit Agricole) avec des étudiants.
Pour Stéphane Rochon, l'IA ne peut se déployer seule : "Attaquer ce projet de transformation par la question de l'IA me semble assez réducteur. C'est l'activation de l'ensemble des leviers de transformation qui permet de s'inscrire dans cette culture du changement."
À Biarritz, cela s'est traduit par un projet d'administration en 2023 avec 8 objectifs, créant un "socle de transformation et un climat de confiance" nécessaire pour engager les équipes.
Face aux contraintes budgétaires, les deux intervenants plaident pour plus de collaboration entre collectivités. Aymeric de Maussin est formel : "Tout le travail que je fais de défrichage, d'identification de cas d'usage et de solutions pertinentes… l'équipe de Stéphane pourrait l'utiliser. Ce qui nous manque, c'est cette mutualisation. Regardez les Chinois : toutes leurs IA sont open source, c'est eux qui vont le plus vite. Nos collectivités ont cette même nécessité à se rassembler."
À la Région Pays de la Loire, le déploiement a démarré le 12 juin 2025 avec une IA générative baptisée "Ligéria" et 6 agents IA accessibles à tous :
Traduction : un agent reçoit un PDF en anglais, il le récupère en français
Reformulation : améliorer une note pour la présidente ou un rapport
Analyse SWOT : identifier forces, faiblesses, opportunités et menaces
Dialogue avec un document : extraire des tableaux d'un rapport de 60 pages en quelques clics
Correction orthographique et grammaticale
Génération de slides codées (en expérimentation)
Aymeric insiste : "Ce ne sont pas des agents révolutionnaires. L'idée, c'est de montrer ce que cette nouvelle approche peut apporter et de créer un langage commun. Beaucoup de personnes nous ont dit : 'Ah ça va, ça n’est que ça que vous voulez nous mettre !' C'est hyper important."
Résultat : 70% des utilisateurs ciblés ont ouvert un compte deux mois après le lancement, dont 50% sont devenus des utilisateurs actifs.
À Biarritz, la démarche a privilégié les outils accessibles pour créer rapidement de l'adhésion : "L'idée, ce n'était pas de rentrer dans des fonctionnements extrêmement complexes au départ. On a acquis quelques licences Copilot, chacun en fait des usages et on arrive à gagner du temps, à témoigner d'une pédagogie de la réussite", explique Stéphane Rochon.
Prochaine étape pour la ville : expérimenter Delibia, un outil permettant d'explorer rapidement les délibérations et arrêtés d'autres collectivités. "C'est du temps de gagné et la possibilité d'opérer du benchmarking à une échelle très élargie."
Mais la vraie révélation est venue de l'écoute des agents eux-mêmes. Aymeric de Maussion le confie : "Les premiers agents qu'on avait développés faisaient gagner peut-être 10-15 minutes par semaine. Puis des agents ont commencé à nous dire : 'Si vous arrivez à m'aider là-dessus, ça va me sauver la vie.' Et là, on arrive à des agents qui font gagner presque une journée entière dans une semaine à certaines personnes."
Le message est clair : les métiers doivent devenir acteurs et prescripteurs de la transformation. "Le métier est la meilleure personne pour exprimer son besoin. Il faut sortir de cette commande toujours faite à la DSI." Une approche bottom-up qui change radicalement la donne.
Premier obstacle : la peur de ne pas y arriver. "Il y a des personnes qui ont peur, qui se disent 'Je ne suis plus dans le coup'. Il faut désacraliser le fait qu'il y a des personnes qui vont très vite et d'autres moins vite. Ça ne veut pas dire qu'elles ne peuvent pas l'exploiter", explique Aymeric.
L’idée est de changer de paradigme culturel. L’IA est davantage un chantier de transformation humaine, avant d’être un projet technique, et c’est pourquoi la stratégie des petits pas est clé pour réussir la transformation : tester, expérimenter, se tromper.
Ce changement de culture passe aussi par une redistribution du pouvoir : "On est très hiérarchiques dans les collectivités, avec de l'arbitrage qui descend. Là, c'est un changement de paradigme : le métier va avoir beaucoup de pouvoir dans la création d'agents au plus proche de son besoin."
Autre frein majeur : l'écologie. Face aux inquiétudes, la Région a développé une pédagogie spécifique avec une métaphore parlante : "Quand la Ford T est sortie, pour avoir un moteur aussi puissant qu'une Clio 5, ça aurait consommé 78 litres au 100. Aujourd'hui, avec 120 ans d'innovation, on a des Clio à 4L/100, voire des voitures électriques. L'IA suit la même trajectoire."
Les dispositifs se multiplient :
Webinaires de 15 minutes tous les 15 jours pour montrer une fonctionnalité
"Incubateurs" : des agents support qui deviennent formateurs de proximité, avec un accompagnement individualisé : "On va bouger la souris ensemble"
Futurs "cafés IA" : des espaces de débat sans objectif précis, inspirés des formats de l'État, pour laisser la conversation guider les échanges
Pour Stéphane Rochon, la formation est le parent pauvre de cette révolution : "La question de l'accompagnement à des pratiques nouvelles est fondamentale. Les réticences viennent souvent de la peur d'être humilié ou d'avoir honte de ne pas savoir s'en servir."
L'expression des doutes est capitale. Pour Stéphane Rochon, s’appyer sur le concept grec de "parrêsia" (parler vrai) est clé afin de “permettre l'expression des réticences et travailler sur le côté 'poison' de la technologie : comment garder son intelligence, sa capacité de penser l'avenir et le travail ? Ce débat est tout aussi nécessaire."
Au-delà de la technique, l'IA pose une question philosophique majeure : comment redonner du sens et du plaisir au travail ?
Stéphane Rochon s'appuie sur les travaux d'Yves Clot pour défendre l'idée qu'il faut réintégrer du loisir dans le travail. En éliminant les tâches chronophages, les agents pourraient retrouver le temps de penser leur travail, de développer leur imaginaire. "L'humain est totalement irremplaçable dans sa capacité à imaginer", souligne-t-il.
Pour Aymeric de Maussion, cette notion de "réenchantement" implique un véritable changement culturel dans les collectivités françaises : accepter qu'on puisse s'amuser et jouer au travail, que ce ping-pong entre créativité et productivité contribue à animer les équipes.
Mais attention à ne pas se méprendre : l'humain reste au cœur du dispositif. Le concept de "Human in the loop" (l'humain dans la boucle), très présent dans les conférences internationales sur l'IA, prend tout son sens ici. "La place de l'humain n'est pas nécessaire, elle est indispensable", insiste Aymeric. La décision que prend l'agent dans chaque itération avec l'IA, son discernement, son expertise métier : voilà ce qui fait la différence entre une automatisation aveugle et une véritable augmentation des capacités humaines.
1. L'IA n'est pas qu'une question technique, c'est d'abord une question de gouvernance et de culture. Définir qui porte quoi, créer les bonnes instances, embarquer les agents dès le départ, et surtout : préparer le terrain avec un projet de transformation global.
2. Mieux vaut commencer petit, mais bien. Privilégiez les cas d'usage à impact rapide et visible, qui créent de la confiance et permettent d'apprendre en marchant. Écoutez les besoins remontant du terrain : ce sont les métiers qui savent le mieux ce qui leur ferait gagner du temps.
3. La transparence est votre meilleur allié. Que ce soit avec vos agents, vos élus ou vos citoyens, expliquer le "pourquoi" et le "comment" est essentiel pour lever les résistances. Permettez l'expression des doutes et travaillez avec les 50% de sceptiques, pas seulement avec les convaincus.
Comme le rappelle Hélène Guillet, Présidente du SNDGCT : "Notre responsabilité est d'éclairer, d'accompagner et de donner du sens. L'IA n'a de sens que si elle est mise au service du collectif : utile, maîtrisée, et fidèle aux valeurs du service public."
L'IA dans les collectivités n'en est qu'à ses débuts. Mais comme nous l'ont montré Aymeric et Stéphane, les pionniers existent déjà et les bénéfices sont tangibles. À vous maintenant de vous lancer, à votre rythme et à votre échelle ) et surtout, de ne pas le faire seul : la mutualisation entre collectivités sera la clé du succès collectif.
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