Chief People Officer chez Partoo et passionné par la formation, Hugo travaille à la transmission du savoir entre collaborateurs. Il s’inspire également de techniques marketing pour créer une marque employeur différenciante et être ainsi à l'avant-garde.
Hugo Perrier occupe actuellement le poste de Chief People Officer de Partoo, après 10 ans d'expérience au sein de grands groupes et d’entreprises tech. Passionné par le sujet de la formation, il travaille à la mise en place de systèmes innovants, comme celui de la transmission du savoir entre collaborateurs. Il s’inspire des techniques du marketing pour créer une marque employeur différenciante et s’assurer d’un bon “culture fit” avec les salariés. Une approche qui lui sert également à se placer à contre-courant des sujets “future of work” et à anticiper les changements à venir.
Au programme :
“L’entreprise doit être proactive en termes de formation”
Inciter les collaborateurs à devenir formateurs
S’inspirer des méthodes du marketing pour les RH
“Avoir une culture d’entreprise différenciante, voire segmentante, est un atout.”
“Le “future of work” se prépare dans nos enquêtes de satisfaction collaborateur”
Hugo Perrier : Bonjour Aurélie. Au départ, j’avais en tête de devenir interprète de conférence. Techniquement, je suis traducteur et interprète certifié. J’ai effectué beaucoup de stages qui m’ont notamment permis de découvrir les RH, côté stratégie. J’ai poursuivi sur cette voie et j’ai ensuite étudié le droit social.
Lors de mon premier poste, chez L’Oréal, j’ai rencontré Anne-Clémence Sire. Elle fut une manager très marquante pour moi. Elle a notamment beaucoup travaillé sur le lancement de la plateforme My Learning au sein du groupe. Il ne s’agissait pas d’une simple plateforme d’e-learning, où les connaissances sont partagées de façon impersonnelle, mais d’une solution très innovante axée sur le blended learning. L’idée était de moderniser la formation professionnelle en proposant des apprentissages, mais aussi des expériences, en fonction des salariés.
Nous n’étions qu’au début de la formation personnalisée et de l’apprentissage de compétences transversales. Se dire qu’on pouvait adapter la formation au vécu, aux expériences et aux envies des collaborateurs était très nouveau.
Grâce à cette première expérience, j’ai compris que, pour garantir la bonne circulation des connaissances et faire progresser les collaborateurs, il fallait avant tout les rendre acteurs et personnaliser au maximum la formation.
H.P : Ces expériences m’inspirent encore aujourd’hui de plusieurs façons, notamment sur la façon dont la connaissance doit circuler au sein d’une organisation et sur sa mémorisation.
Dans mon entreprise actuelle, l’un des challenges principaux est de prioriser le flux continu de nouvelles informations. Nous sommes dans une phase de scaling où les informations sont de plus en abondantes pour les collaborateurs. Pour être franc, il est parfois difficile de tenir la barre !
Cela me ramène à cette première réflexion d’il y a 13 ans : comment offrir une bonne granularité dans l’information ? Comment garantir à chaque collaborateur l’accès à une base commune de connaissances et lui permettre de creuser les sujets les plus pertinents ?
Je pense que chacun doit être libre dans le choix de ses apprentissages mais l’entreprise doit être proactive. Nous devons en effet être en mesure de proposer des formations spécifiques à nos collaborateurs car certaines compétences sont (ou vont prochainement devenir) indispensables.
Aussi, il faut faire l’effort de personnaliser les formations pour être au plus près des besoins. Tout le monde n’a pas besoin d’être un expert, mais une base peut être nécessaire.
H.P : Il faut absolument parler du travail de mémorisation. L’Oréal misait notamment beaucoup sur la transmission du savoir entre les collaborateurs, la meilleure façon pour garantir la bonne mémorisation d’un apprentissage.
Pour moi, s’ils le souhaitent, les collaborateurs experts d’un domaine doivent donc pouvoir former leurs collègues. Mon travail consiste alors à trouver des experts en interne ou, si nous n’en avons pas au sein de l’entreprise, à les rechercher en externe.
Il y a aussi un travail “d’anticipation à faire” car je dois également identifier les collaborateurs susceptibles de devenir experts et les accompagner pour qu’ils deviennent formateurs à leur tour. Ce sont des sujets qui me passionnent.
H.P : Je vais encore prendre l’exemple de L’Oréal qui investissait beaucoup dans ce type de programmes.
Créer des modules de formation, animer une session, créer de l’interaction… Ce sont des choses qui s’apprennent ! Nous proposions donc du coaching en ce sens aux collaborateurs qui le souhaitaient. Même si l’équipe Learning restait bien évidemment en soutien pour des questions d’organisation, l’objectif était vraiment de donner les clés de la formation à ces experts internes.
Après les avoir formés, l’enjeu était de transformer ces collaborateurs en ambassadeurs du programme. On assistait alors à la création d’un véritable cercle vertueux : les collaborateurs devenus formateurs parlaient du programme, ce qui incitait d’autres collaborateurs à essayer à leur tour.
J’y pense encore beaucoup aujourd’hui. Si L’Oréal a pu le faire, cela doit nous pousser à nous interroger en tant que scale-up : comment mettre en place ce genre de programme ? Comment encourager nos propres collaborateurs à former nos équipes ?
H.P : Oui, tout à fait ! J’échangeais récemment avec d’autres DRH sur les budgets alloués à la formation en 2023.
L’année dernière a été compliquée pour beaucoup d’entreprises et la prudence reste encore de mise. Tous les DRH sont obsédés par la rétention des talents et par leur budget.
Cette année, j’ai pris le parti de ne pas envisager la formation sous un prisme budgétaire. Je préfère me baser sur la bande passante des managers de l’entreprise et de mon équipe pour déterminer le temps nécessaire à nos efforts de formation.
Cela ne veut pas dire que je n’ai pas de budget formation mais, au lieu de ne penser qu’aux dépenses, je trouvais intéressant de poser ces questions : de combien de collaborateurs vais-je avoir besoin pour suivre mes objectifs en termes de formation ? De combien de temps vont-ils avoir besoin ?
Je n’en suis qu’au début de cette réflexion, à voir comment elle évoluera dans les prochains mois !
H.P : Nous n’en sommes encore qu’aux prémisses mais nous avons déjà identifié quelques champions qui pourront former nos collaborateurs sur des compétences en management et métier.
J’ai mis en place un dispositif similaire chez Cheerz, mon entreprise précédente. Nous partions des besoins évoqués par les salariés lors des entretiens annuels, puis nous recherchions des ambassadeurs en interne.
À un moment, plusieurs équipes ont émis le souhait de se former aux méthodes agiles. Nous avons identifié en interne une personne très au fait de ce sujet, curieuse et sujette au partage de connaissances. Après en avoir discuté avec son manager, nous en avons discuté avec elle pour sonder sa motivation et le temps qu’elle était prête à consacrer à ce projet. Cette personne a ensuite pu former nos équipes avec des workshops qui ont été très appréciés.
H.P : Chez Cheerz, lorsqu’un collaborateur s’impliquait beaucoup sur la formation de ses pairs, nous lui proposions d’ajouter un objectif “formation” à ses indicateurs de performance individuels. Nous pouvions ainsi suivre sa progression et l’objectiver sur ce travail qui sortait de son scope classique.
H.P : En 2022, je voyais que tout le monde parlait de “Talent Acquisition”. Cela s’expliquait notamment par la forte accélération des entreprises tech après la crise COVID-19. Cette année, le contexte économique pousse les entreprises à plus de prudence et à une diminution des embauches. C’est d’ailleurs ce qui ressort d’une étude réalisée par Lattice sur les sujets prioritaires des DRH en 2023.
Au lieu d’y voir une contrainte, j’y vois une vraie opportunité. Notre entreprise a la chance de pouvoir ouvrir de nouveaux postes cette année, ce qui n’est pas le cas de toutes les entreprises tech. Nous avons donc de quoi tirer notre épingle du jeu !
Habituellement, nous bataillons car le secteur est très concurrentiel en termes d’acquisition de talents. Cette année, nous allons donc redoubler d’efforts en termes de Talent Acquisition pour nous différencier.
H.P : J’ai pu remarquer la propension des RH à pallier le gel des recrutements en misant beaucoup sur la rétention et les programmes de développement. Cela fait sens, mais je suis convaincu que l’attraction de nouvelles personnes doit être permanente pour toutes les entreprises.
Tout l’enjeu va être d’attirer de nouveaux candidats de façon organique. Je pense qu’il est d’ailleurs intéressant de s’inspirer des équipes marketing qui, lors de campagnes de fidélisation, investissent beaucoup sur la marque employeur et le branding.
Pour moi, c’est grâce à cette philosophie et nos efforts en termes de marque employeur que nous arrivons à attirer des candidats “naturellement”.
H.P : L’authenticité, tout d’abord. La culture véhiculée doit avant tout être vraie pour nos collaborateurs qui la vivent. On peut bien évidemment invoquer des notions “aspirationnelles”, mais elles ne doivent jamais empiéter sur le quotidien tel qu’il est vécu dans notre entreprise. De cette façon, nous sommes sûrs que les personnes recrutées savent à quoi s’attendre en arrivant chez nous, quelle que soit la durée de leur collaboration avec Partoo.
Pour cela, j’ai beaucoup travaillé sur l’“employee value proposition” de Partoo. Il s’agit d’un document qui nous raconte : notre activité, nos valeurs et la façon dont elles se traduisent dans la réalité, les compétences que nous recherchons, les opportunités que nous proposons à nos salariés (mobilité interne, international…), nos engagements…
Quitte à parfois être “segmentant”, je pense aussi qu’avoir une culture d’entreprise différenciante est un atout. Cela nous rend plus attractif et attire les candidats. Notre culture est par exemple très centrée sur le collectif, un aspect qui peut ne pas convenir à des personnes qui préfèrent travailler de façon plus indépendante. C’est un critère qui nous permet d’identifier les talents qui se sentiront bien chez Partoo.
Enfin, je pense que la culture d’entreprise doit se retrouver à tous les niveaux de l’entreprise pour être vraiment utile. La “employee value proposition” doit se retrouver partout : dès nos premiers échanges avec les candidats, dans les offres d’emploi publiées sur Welcome to the Jungle, sur notre site, dans notre parcours d’intégration, dans nos événements d’équipe, notre vie de bureau… C’est très important car la culture d’entreprise permet de se raconter et de se comprendre en tant que collectif.
H.P : Lier la culture et la mission d’entreprise est une obsession pour moi !
Chez Cheerz, le lien était assez simple. Toute la culture d’entreprise s’articulait autour du sourire car l’entreprise accompagne ses clients dans des moments d’émotions, qu’ils ont envie d’immortaliser. Concrètement, nous avons traduit cette notion de “donner le sourire” qui revenait sans cesse en une valeur d’entreprise : l’enthousiasme.
Contrairement à ce qu’on peut penser, l’enthousiasme peut être une valeur très professionnelle, notamment dans la transformation de difficultés en opportunités ou dans la capacité d’un manager à motiver son équipe avant de regarder les OKR par exemple. Cela faisait vraiment sens avec le business même de l’entreprise.
Chez Partoo, notre mission est de rapprocher les commerçants et administrations de leurs clients finaux. Ces acteurs ont besoin d’être au contact permanent de leurs clients via le partage d’informations, les interactions via des avis et messages… Notre objectif est de rendre des choses qui paraissent très éloignées, très claires et proches du consommateur.
Cela m’a tout de suite parlé en tant que RH ! Le brief de mon rôle chez Partoo était très clair : comment créer et conserver des relations de confiance entre la fonction RH et les collaborateurs dans toutes nos actions ?
H.P : En phase de recrutement, je suis très attaché à la diversité et au culture fit. Et, parfois, concilier les deux est un vrai challenge.
Je pense notamment à deux moments où j’ai recruté des personnes en décalage avec notre culture fit mais dont la personnalité pouvait vraiment apporter quelque chose à l’entreprise. J’ai fait ce pari car je pense que la culture d’entreprise se renforce quand on la challenge.
Dans les cas de ces deux personnes, ce fut un échec. Je pense que je n’ai pas été assez clair avec elles au début : en nous rejoignant, vous devez respecter un contrat et avoir vraiment envie de faire partie d’une aventure collective. Malheureusement, il y avait une dissonance car ces personnes n’étaient pas prêtes à s’investir pour intégrer notre culture. Si j’avais été plus clair, l’issue aurait pu être différente.
Cela soulève une question qui revient d’ailleurs souvent dans les conversations entre RH : comment unifier les usages dans l’entreprise, tout en permettant à chacun de garder son individualité ?
Une autre erreur que je peux partager concerne l’élaboration de notre culture d’entreprise chez Cheerz. Avec l’un des deux fondateurs, nous étions seuls à travailler dessus pour des raisons d’efficacité. Or, en la présentant aux collaborateurs, bien qu’ils étaient d’accord avec 90% du contenu, nous nous sommes rendu compte qu'ils n'en étaient pas encore totalement sponsors.. Ce que nous avions gagné en efficacité, nous l’avions perdu en adhésion.
Nous l’avons donc retravaillé, en co-construction cette fois. Nous avons organisé des entretiens, workshops, enquêtes internes… Là, les collaborateurs ont vraiment commencé à adhérer à la culture d’entreprise proposée. J’ai donc appris qu’on ne pouvait pas imposer des valeurs aux collaborateurs sans les inclure dans ce travail de construction.
H.P : Je préfère parler du “present of work” que du “future of work” ! J’ai conscience que ce discours n’est pas très “sexy” mais, pour moi, la fonction RH doit avant tout être au service des autres aujourd’hui, et non demain. C’est pour cela que je fais ce job.
Parfois, j’ai l’impression qu’on oublie cette notion de “service des nôtres, au sens noble du terme”. Je le répète tous les jours à mon équipe. Les RH doivent permettre à l’organisation de grandir sainement, d’accompagner les managers et les collaborateurs qui doivent se sentir bien pour bien travailler.
Nous devons repérer tous les signaux faibles, les faire remonter et apporter des réponses selon leur priorité. C’est de cette façon que nous arriverons à véritablement aider nos collaborateurs.
Pour revenir au “future of work”, j’adore anticiper les tendances mais nos salariés nous disent déjà ce qui va les impacter demain. Je regarde donc très attentivement les résultats de nos enquêtes internes et notre NPS, qui me sert de boussole. Si j’ai besoin de plus de détails sur un point particulier, je fais des ateliers ou des entretiens avec les salariés.
Je mesure par exemple régulièrement la satisfaction des collaborateurs sur le télétravail. Si je vois qu’il ne progresse pas pendant plusieurs mois, je réfléchis aux actions à mettre en place pour l’améliorer. C’est là que se prépare le “future of work” à mon sens.
Avant le COVID-19, nos collaborateurs réclamaient plus de télétravail via les enquêtes. On sait maintenant la place que le télétravail occupe dans nos vies ! C’est pour moi la preuve qu’on peut anticiper les changements à venir avec une écoute plus attentive des salariés.
Pour analyser les données à ma disposition, j'utilise Reflect : un data studio qui agrège les données de plusieurs SIRH (système d'information de gestion des ressources humaines). Il me permet ensuite de créer des dashboard m’aident à la prise de décisions.
Mon plan d’actions découle donc des enquêtes et de nos données RH, pas des études “future of work” qui sont, certes parfois très intéressantes, mais qui se cantonnent souvent aux organisations américaines qui ont une certaine taille et une certaine culture d’entreprise.
Pour être dans le vrai, il faut surtout regarder ce qui se vit dans sa propre organisation, car chaque entreprise a une histoire différente et des besoins spécifiques.