Baromètre Alan x Harris Interactive - édition 3
Evolution du bien-être mental au travail et décryptage des aspirations des salariés et managers par secteur
Vous parlez souvent de ménopause au boulot ? Vous trouvez ça encore tabou ? Concrètement la ménopause est peu reconnue et peu traitée en France. Et comment on fait alors ? Des solutions existent heureusement notamment au Royaume-Uni.
*Vous parlez souvent de ménopause au boulot ? Vous trouvez ça encore tabou ?Concrètement la ménopause est peu reconnue et peu traitée en France. Et comment on fait alors ? Des solutions existent heureusement notamment au Royaume-Uni. On vous explique tout ça 👇*
Elle se souvient de ce dîner professionnel, quasi une soirée de gala, organisé par une grande maison de couture. C’était il y a trois ans. Elle, en veste et chemisier pour l’occasion. « L’ensemble était de circonstance, mais l’un ne pouvait pas être porté sans l’autre », raconte Camille (1), grande blonde élégante de 54 ans. Quand la bouffée de chaleur est arrivée, le dîner battait son plein et la tenue a viré au désastre. « Je ne pouvais pas retirer ma veste, j’étouffais, en deux minutes j’étais trempée ». Elle a tenu jusqu’au dessert avant de s’éclipser. A cette époque, poursuit-elle, « je dormais mal, je me sentais toujours fatiguée, je n’avais envie de rien ». Ce dîner sous une canicule interne a été celui de trop. Le lendemain matin, Camille a pris rendez-vous chez sa gynécologue.
Des cas comme celui de Camille, le Docteur David Elia, gynécologue et auteur de « 50 ans au naturel », (éd. Robert Laffont), en voit des dizaines par semaine. Elles arrivent et décrivent le maquillage qui coule au bureau, les tenues trempées en pleine journée, les bouffées de chaleurs et leur cortège de désagréments associés, des accélérations du rythme cardiaque, les crises d’angoisses qui suivent, les suées nocturnes « qui les réveillent une fois, deux fois, les obligent à se changer dans la nuit, rapporte David Elia. Elles n’arrivent pas à se rendormir. Et le scénario se répète de semaine en semaine, de mois en mois. » Au matin elles se réveillent épuisées.
Bien sûr parmi elles, « il y a celles qui ne subissent aucun symptômes et qui vont très bien, celles qui avant souffraient de règles hémorragiques, de migraines ou d’anémies et qui du coup vont mieux, mais il y a aussi celles qui subissent tous les effets secondaires de la ménopause et qui vont très mal, énumère le docteur David Elia. Et puis entre ces cas de figures, tous les intermédiaires possibles. »
Lucie, 50 ans, dans l’édition, se souvient des journées qui suivaient « j’étais à fleur de peau, toujours les larmes au bord des yeux ». Les journées de travail lui semblent interminables. Celles de Sophie, comptable, 49 ans, aussi. A cette époque, cette mère de trois enfants partage son bureau avec d’autres, plus jeunes. Une fenêtre. Dès qu’elle peut, Sophie l’ouvre. Ses bouffées de chaleur lui rendent l’atmosphère irrespirable. Dans tous les sens du terme. Ses collègues se plaignent d’avoir froid, quand elle bout. Sophie entend "bouffées de chaleur", "la vieille", "ménopause".
Elle ne relève pas, se focalise sur les tableaux de chiffres qui s’affichent sur son écran, fait abstraction de l’environnement. Après coup, elle se dit que finalement, elle n’a jamais semblé aussi concentrée sur son travail. Mais à quel prix. « Ce n’est pas le cas pour toutes, tempère David Elia. Mais à la ménopause ou en pré ménopause, les femmes peuvent être démotivées, et parfois même dans l’incapacité d’assumer les tâches intellectuelles qu’elles exerçaient facilement avant. »
Conséquences de l’accumulation de nuits hachées ou amputées et d’une succession de zones de turbulences hormonales. « Elles se sentent aussi dévalorisées car elles transpirent, ajoute le gynécologue. Elles craignent que les autres le remarquent, prennent conscience qu’elles sont ménopausées alors qu’elles-mêmes se sentent jeunes dans leur tête.» Alors elles font bonne figure ou au contraire s’isolent.
Ce qu’elles vivent comme une épreuve marathon est pourtant loin d’être exceptionnel. Et se traite. « En trois jours », c’était terminé, assure Camille, la jeune cinquantenaire victime d’une bouffée de chaleur en plein dîner. Les traitements hormonaux sont très efficaces assurent tous les médecins interrogés. « Il en existe une soixantaine, rapporte Alain Tamborini, gynécologue et auteur de « La Ménopause » (éditions Marabout). On peut faire du sur-mesure, en un mois c’est réglé. »
Plus de onze millions de femmes sont ménopausées en France, et chaque année, elles sont quelques 430 000 nouvelles à passer ce cap de la vie hormonale. En Europe, le taux d'emploi des femmes âgées de 55 à 64 ans était de 27,4 % en 2000, dix ans plus tard, il est passé à 38,8 %, ajoute une étude italienne parue en 2019, qui s’est penchée sur la relation entre burn-out et ménopause. Et ce taux devrait continuer d’augmenter. « Ainsi, les femmes ménopausées deviendront encore plus nombreuses sur le lieu de travail », ajoutent les chercheurs. Le sujet est encore tabou et les études sur la question restent encore rares. Mais il semble que la tendance soit en train de changer.
La confédération des syndicats britanniques (TUC) prend le sujet au sérieux et met à disposition un guide et une boîte à outils » à l’usage des employeurs. Les université de Leicester et Nottingham ont fait partie des premières institutions à considérer ces salariées et à s’intéresser à leur place dans le monde du travail.
Plus récemment, Vodafone, le géant anglais des télécommunications a lancé un audit auprès de 5000 de ses employées concernées par la ménopause. Résultats : « près des deux tiers des femmes (62%) qui ont ressenti des symptômes de la ménopause ont déclaré que cela avait un impact sur leur travail. » Or parmi elles, « un tiers (33%) les cachaient au bureau, et 50% ont estimé qu'il y a une stigmatisation autour du fait de parler de la ménopause. » Conséquences : un mal être au travail, des absentéismes. Qui commencent à être documentés. Des chercheurs hollandais ont mesuré cet impact et confirment. D’après leurs calculs « les femmes présentant des symptômes ménopausiques sévères sont 8,4 fois plus susceptibles de déclarer une diminution de leur capacité de travail que des femmes du même âge ne présentant pas de symptômes » et « qu'elles risquent en outre de s'absenter du travail pendant une longue période. »
Autour de ces malaises, le silence, voire le secret. « Seule la moitié d'entre elles confient la véritable raison de leur absence à leur supérieur hiérarchique, a d’ailleurs révélé une étude menée par l’Université de Nottingham (Angleterre) très active sur la question, et elles sont encore plus réticentes si cette personne est un homme et/ou plus jeune qu’elles ». Pire, dans un sondage commandé par Forth With Life, une société anglaise en 2019, 11% des femmes souffrant des symptômes de la ménopause ont déclaré qu’ils les empêchait de se présenter à une promotion, et 8 % que cela avait probablement influencé d'une manière ou d'une autre leur décision de quitter leur emploi. Alarmant.
Mais peu étonnant pour Alain Tamborini, gynécologue, « vu la pression sociale pour rester jeune, belle et mince, les seniors ne sont pas bien vus, mais c’est encore plus dur dans le monde du travail. Peu indulgent, il ne tient pas du tout compte de la ménopause. » Et pour Patrice Lopes, gynécologue, président du Groupe d'Etude sur la Ménopause et le Vieillissement Hormonal (Gemvi) et membre du bureau de l’European Menopause and Andropause Society (Emas), « les femmes ne se tournent pas vers le médecin du travail, elles considèrent que c’est trop intime pour rentrer dans ce cadre-là. »
Plus inquiétant, « 40% des femmes de plus de 40 ans ne sont pas suivies par un médecin gynécologue, confie Alain Tamborini. Et le médecin de suggérer, « aujourd’hui il est difficile de trouver un médecin qui s’intéresse aux troubles hormonaux. »
Pourquoi ne pas imaginer que la DRH facilite l’accès à une consultation spécialisée dans la prise en charge de la ménopause ? ou propose un check up gratuit, qu’elle baptiserait « la belle quarantaine» ? Pour éviter un « bilan Ménopause », encore considéré comme péjoratif voire violent.
C’est encore du côté des pays anglo-saxons que l’espoir d’une main tendue et d’une oreille attentive semble encore apparaître. L’Angleterre faisant office de tête de proue dans le domaine. Après avoir commandé des sondages concentrés sur cette catégorie de leurs effectifs, certaines entreprises conscientes des enjeux brisent le silence et prennent des mesures.
L’université de Leicester a été la première à ouvrir la voie dans le monde académique. En août 2018, sa campagne de déstigmatisation porte le slogan « Parlons Ménopause trois fois par jour », et engage aussi bien les jeunes que les hommes à s’emparer du sujet.
Le 18 octobre 2019, à l’occasion de la journée mondiale de la ménopause, la chaîne britannique Channel 4 devient le premier média « ménopause friendly » revendiqué et annonce son tout premier plan Ménopause. « Une politique conçue pour soutenir les employés qui éprouvent des symptômes de la ménopause, tout en fournissant des conseils aux collègues et aux responsables hiérarchiques sur la façon dont ils peuvent soutenir ceux qui traversent cette transition. », garantit-elle. Signe de la tendance et du marché à venir, des sociétés se sont spécialisées pour les accompagner et les aider à « rendre votre entreprise ménopause friendly », et proposent séminaires, programmes de formations à distance, sensibilisation des managers, etc.
L’European Menopause and Andropause Society vient tout juste de publier ses recommandations sur la prise en charge de la ménopause au travail. Fontaines à eau, tenues de travail adaptées aux changements brusques de température, espace où se changer et où se rafraîchir … « ce sont des dispositifs simples, parfois basiques, énumère Patrice Lopes, mais qui ne sont pas toujours à disposition. « Nous aimerions aussi une harmonisation des mesures européennes, mais c’est un début ».
(1) Tous les prénoms ont été changés.