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Entreprise et santé au futur

Stéphanie Carpentier : "À chaque fois qu'une entreprise s'empare d'un sujet tabou, il devient fédérateur"

La ménopause au travail vue par Stéphanie Carpentier, Docteure en management des ressources humaines spécialiste de la santé au travail , enseignante et fondatrice de DR.RH & Co.

Stéphanie Carpentier : "À chaque fois qu'une entreprise s'empare d'un sujet tabou, il devient fédérateur"
Mis à jour le
5 janvier 2024
Mis à jour le
5 janvier 2024
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Dans cet article

En quoi la ménopause peut-elle relever de la santé au travail ?

Stéphanie Carpentier : Les femmes ménopausées ou en pré ménopause peuvent souffrir de fatigue, de troubles du sommeil, mais aussi de palpitations, de frissons dus à des tensions ou crampes musculaires, des symptômes typiques aussi du burn out ou du moins d’un très grand stress. Il est donc bien question de santé au travail et de souffrance au travail. D’autant qu’en plus de ces symptômes parfois très handicapants, ces femmes cumulent d’autres difficultés.

Les femmes craignent que leur malaise passe pour une faiblesse.

Lesquelles ?

S.C. : Elles sont confrontées à des problèmes de diversité au travail, ceux liés au handicap à travers les symptômes que je viens de décrire et aux bouleversements psychologiques qu’ils peuvent induire mais aussi à des difficultés liées au genre ou à l’âge. Car ces femmes sont souvent en deuxième partie de carrière et donc considérées comme séniors. Elles doivent faire face à des problèmes de management, d’aménagement des locaux. En effet, difficile de se concentrer sur son travail, lorsqu’on ne peut pas aller se rafraîchir aussi souvent que nécessaire sous peine de s’entendre dire « encore en pause ? » en traversant l'open space. Compliqué de déboutonner un peu plus sa chemise au bureau partagé lorsqu’on ne peut pas baisser le chauffage ou ouvrir la fenêtre…

Livre blanc ménopause

L’enquête révèle que la majorité de ces femmes n’ose pas aborder leurs difficultés en entreprise…

S.C. : Elles craignent que leur malaise ne passe pour une faiblesse. Si elles transpirent, rougissent, ne se sentent pas bien lorsqu’elles prennent la parole dans une salle de réunion confinée, que vont penser les autres ? Qu’ils ont face à eux une femme mal à l’aise à cause d’un changement hormonal ou bien que c’est une femme stressée qui leur parle ? Combien de personnes vont se dire qu’elle n’est pas à la hauteur, qu’elle n’a pas le profil d’une leader ? À celle en position de responsabilités qui demandera des comptes à ses équipes, on retournera un « tu fais des crises à cause de tes hormones ». Il ne faut pas s’étonner alors que les femmes ne veuillent pas s’épancher.

Quelles sont les demandes des DRH à ce sujet ?

S.C. : Jamais un DRH n’a abordé cette question avec moi. Je n’en ai jamais entendu parler en entreprise comme étant un sujet de management. En dehors des études médicales, je n’ai jamais vu de travail de recherche, ni vu passer d’étude en management sur la santé au travail traiter particulièrement de ce problème. Et je réalise que je n’avais jamais réfléchi à ce sujet alors que je suis consultante en management et enseignante chercheure spécialisée dans la santé au travail. C’est très révélateur du tabou qui plane autour de cette question et de sa complexité en management.

Pourquoi est-ce si complexe ?

S.C. : Parce que pris individuellement la diversité homme femme, le handicap et l’âge sont déjà difficiles à gérer en entreprise. Or la femme ménopausée cumule toutes ces difficultés même si les symptômes physiques et psychologiques de son handicap sont passagers. Ajoutez-y les questions de gestion de carrière, de santé au travail, de compétence, cela fait beaucoup de paramètres à maîtriser pour le service des ressources humaines. Cela demande une grande expertise et une vue à court, moyen et long terme. Il n’a pas le temps.

En proposant une formation sur les risques psychosociaux on développe l’intelligence émotionnelle, les salariés seront plus dans l’empathie que dans l’accusation.

Comment changer les choses alors ?

S.C. : En jouant sur plusieurs paramètres. Par exemple, les femmes interrogées dans l’enquête aimeraient pouvoir contrôler la température et la ventilation. Pourquoi ne pas demander aux architectes que la climatisation soit réglable par îlots et non par étages. C’est un problème d’aménagement des locaux qui doit se concevoir dès le départ, comme c’est le cas pour l’accès à la lumière.

On pourrait aussi revoir des politiques de management et de culture d’entreprise en assouplissant les codes vestimentaires si le port d’un uniforme est obligatoire, ou en autorisant les femmes qui travaillent dans l’industrie agro-alimentaire et portent blouse, gants, charlottes etc. à prendre plus de pauses.

Et puis on peut former les salariés, les managers. Leur expliquer que les symptômes de la ménopause sont les mêmes que ceux que rencontre une personne stressée pas loin du burnout, pour qu’ils comprennent que leurs sources de stress ne sont pas les mêmes. En proposant une formation sur les risques psychosociaux on développe aussi l’intelligence émotionnelle, les salariés seront plus dans l’empathie que dans l’accusation.

Est-ce vraiment utile ?

S.C. : Oui, car ce sujet est un formidable levier d’améliorations. Et très révélateur de toutes les facettes du management sur lesquelles il faut montrer des compétences. Car la diversité de genre, d’âge, le handicap sont censés être déjà pris en charge dans l’entreprise, les DRH travaillent dessus séparément. Alors lorsque je vois que les femmes n’osent pas parler de leurs difficultés liées à la ménopause à un manager, une drh, un CSE, je me dis qu’il y a un problème... C’est au DRH de faire la synthèse de tout cela. De se remettre en question sur chacune de ces items. De faire un diagnostic de leurs forces et de leurs faiblesses. Et en fonction, de prendre un angle d’attaque à privilégier, d’y aller par étapes : l’aménagement des locaux, la formation au stress. Et puis de rendre moins tabou la ménopause.

Comment ?

S.C. : D’abord en prenant conscience du problème, et en en parlant avec ses managers et les représentants du personnel. « Je viens de lire une enquête sur la ménopause et le travail, vous en pensez quoi ? » Il faut parler de choses très concrètes, dépasser les postures, alimenter la réflexionC’est un moteur de cohésion dans l’entreprise. Comme à chaque fois qu’une entreprise s’empare d’un sujet tabou comme le cancer, le handicap, il devient fédérateur. Il permet aussi de vérifier que les valeurs affichées par une société sont réellement vécues, qu’il y a une cohérence. Savoir que son employeur traite bien les personnes en fragilité physique (cela concerne aussi celles atteintes de cancer) et que l’on peut y être senior et avoir des responsabilités, cela donne envie d’y rester, de s’entraider, d’être performant.

Quel serait le risque de ne pas le faire ?

S.C. : Les DRH qui ne veulent pas regarder ce problème-là se préparent de mauvais jours. Le risque est d’être un malade qui s’ignore. Peut-être que par chance des entreprises ont répondu en partie aux problèmes soulevés par la ménopause, qu’elles y ont apporté des solutions mais sans poser le bon diagnostic, et donc, sans offrir le bon traitement en connaissance de cause. Le risque est aussi de perdre de nombreuses compétences. Car les femmes qui ont atteint l’âge de la ménopause ont affronté de nombreux obstacles, elles ont fait des choix de carrière, su gérer des difficultés toutes seules, gérer leur stress, leurs changements hormonaux… Elles ont développé une intelligence émotionnelle forte pour s’adapter. Elles sont donc particulièrement résilientes. Ce serait un manque de compétence de ne pas savoir repérer tout cela — or, ce sont des qualités dont les organisations ont maintenant absolument besoin !

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Publié le 06/05/2022

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