Baromètre Alan x Harris Interactive - édition 3
Evolution du bien-être mental au travail et décryptage des aspirations des salariés et managers par secteur
Comment trouver la paix intérieure dans un monde en perpétuel mouvement ? Peut-on vraiment transcender la souffrance et découvrir des états de conscience profonds ? Et si la méditation zen était bien plus qu'une simple technique de relaxation ? C'est ce qu’explore Maître Wang dans ce nouvel épisode de Healthier Humanity. Écoutez l'épisode ici 👇 🎙️Spotify 🍎Apple podcast 🎧YouTube Podcast
Figure majeure du bouddhisme zen en Europe, Maître Wang nous dévoile les secrets d'une pratique millénaire qui révolutionne notre rapport à nous-mêmes et au monde. Après avoir découvert le zen à 17 ans lors d'une séance d'aïkido, il a consacré sa vie à transmettre ces enseignements, devenant Abbé du monastère Ryumon-ji en Alsace et président de l'Union Bouddhiste de France.
Loin des clichés sur la méditation, Maître Wang nous explique comment le zen Soto offre une approche radicalement différente : "Le zen a cette spécificité d'aller directement au cœur des choses, c'est-à-dire de transcender directement cette relation sujet-objet qui nous structure." À travers son expérience de plus de 50 ans de pratique, il démontre comment cette tradition peut transformer notre relation à la pensée, à la souffrance et à l'impermanence.
Dans cette conversation profonde et accessible, découvrez :
Les fondements du bouddhisme zen et la pratique du zazen
L'art de lâcher prise sans tomber dans la passivité
L'importance du corps et de la respiration dans l'éveil
Comment intégrer la sagesse zen dans le quotidien professionnel
L'hygiène de la conscience : protéger son esprit comme son corps
Cette discussion bouleverse nos idées reçues sur la méditation et prouve qu'avec un enseignement juste, "nous avons cette capacité de nous éveiller." Que vous soyez débutant ou pratiquant expérimenté, cet épisode vous donnera les clés pour comprendre comment le zen peut devenir un véritable art de vivre, réconciliant corps et esprit dans une approche holistique de la santé.
Introduction [00:00 - 01:55]
Jean-Charles : Imaginez un monde où nous vivrions en meilleure santé, plus longtemps, avec plus d'énergie et moins de stress. Bienvenue dans le podcast Healthier Humanity. Je suis Jean-Charles Samuelian et j'interview des experts à la renommée mondiale, des athlètes de haut niveau ou des leaders visionnaires pour parler du futur de la santé, du bien-être et de la longévité. Je suis ravi que vous vous joigniez à nous dans ce voyage. Aujourd'hui, j'ai l'immense honneur d'accueillir Maître Wang. Une figure majeure du bouddhisme zen en Europe. Maître, merci infiniment d'être avec nous aujourd'hui.
Maître Wang : Ça fait plaisir.
Jean-Charles : Alors, après avoir commencé la pratique du Zen Soto à l'âge de 18 ans, vous avez reçu l'ordination monastique en 1977 et depuis, vous n'avez cessé de transmettre et développer ces enseignements en Europe. En 1999, vous avez fondé votre monastère. Vous dirigez une communauté de moines et de nonnes qui pratiquent la vie monastique selon les règles traditionnelles du Zen Soto. Vous avez reçu la transmission du Dharma en 2001 et avez été officiellement nommé Abbé du Monastère en 2010. Au-delà de votre rôle de guide spirituel, vous avez également occupé d'importantes fonctions au sein d'organisations bouddhistes, notamment en tant que président de l'International Zen Association, de la communauté bouddhiste d'Alsace et de l'Union Bouddhiste de France. Aujourd'hui, j'ai beaucoup de chance de partager ce moment avec vous et j'aimerais explorer avec vous les principes fondamentaux du Zen Soto. Et aussi, comment ces enseignements peuvent contribuer à notre bien-être, à notre vision de la vie, à un bien-être physique et mental, dans un monde moderne qui est complexe et qui bouge rapidement. Donc, je serais très intéressé par votre vision de la santé, selon la perspective bouddhiste. Et comment les pratiques méditatives, mais pas seulement, peuvent être rendues accessibles au plus grand nombre. Mais peut-être pour commencer, est-ce que vous pourriez nous expliquer ce qu'est le bouddhisme zen ?
Maître Wang : En deux mots.
Jean-Charles : En deux mots, exactement.
Maître Wang : Je pense que Wikipédia sera plus doué que moi pour résumer ça. Je pense qu'on peut dire que c'est une des grandes traditions spirituelles de l'humanité. C'est une branche très importante de ce qu'on appelle, avec un mot un peu générique, le bouddhisme. C'est une tradition qui insiste tout particulièrement sur les pratiques de méditation. Ce qu'on appelle dans le zen le zazen. Et si on veut faire court, le Zen a cette spécificité d'aller directement au cœur des choses, c'est-à-dire de transcender directement cette relation sujet-objet qui nous structure et qui nous... Qui fait ce que nous sommes, la façon dont nous pensons, dont nous voyons les choses, etc. Donc, le zen, à travers les pratiques de méditation, va au cœur des choses. C'est cette tradition qu'on dit au-delà des mots et des écritures, même s'il y a beaucoup de mots et d'écritures dans le zen, comme dans toutes les autres grandes traditions, mais c'est vrai qu'on essaie toujours d'aller voir ce qu'il y a derrière les mots, au cœur de ce que nous sommes, c'est-à-dire la conscience une.
Jean-Charles : J'ai tellement de choses et de questions à vous poser suite à ça. Vous parliez de relation sujet-objet. Est-ce que vous pouvez nous expliquer ce que ça veut dire, quel est le sujet, quel est l'objet et comment ça s'articule ?
Maître Wang : Cette relation sujet-objet, elle est au cœur de notre conscience, ce qu'on appelle notre mental ou notre activité mentale, c'est-à-dire de nous considérer comme un sujet et de considérer les choses, les autres même, comme des objets. Donc, on s'installe dans une relation qu'on dit dualiste, où, en créant un sujet, on crée automatiquement tous les objets de notre vie, du monde. Donc, c'est une façon de penser qu'on appelle la pensée dualiste ou intellectuelle ou rationnelle. On va en parler, j'imagine, plus tard, mais qui a pris une place grandissante dans notre éducation, dans nos cultures. Et qui, aujourd'hui, se place comme la conscience ou la pensée, le mode de pensée, en tout cas à peu près unique. On ne connaît plus tellement d'autres modes ou de façons de penser ou d'être au monde.
Jean-Charles : Et cette relation, justement, entre cette pensée dualiste et ce qui se présente dans le bouddhisme zen, quelles sont les différences ? Vous parlez de cette notion, de penser et être. Je suis intéressé de creuser un peu ça avec vous aussi.
Maître Wang : De toute évidence, l'expérience de la méditation, mais ça, c'est très expérimental. Ça vient de l'expérience directe. L'expérience de la méditation nous fait découvrir, ou nous permet, disons, de découvrir des états de conscience ou des strates de conscience, de profondeur, de conscience qui dépassent largement cette pensée dualiste. C'est un peu comme si cette pensée dualiste était ce qu'on peut appeler la surface de l'océan, les vaguelettes et l'écume de l'océan. Notre conscience est aussi vaste que la totalité de l'océan. C'est pour ça que souvent, on entend dire, et, à juste titre, que nous utilisons quelques pourcents au mieux de nos capacités réelles de conscience.
Jean-Charles : Et comment on va creuser tout ça en profondeur ? Je suis aussi intéressé par votre histoire. Qu'est-ce qui vous a amené, vous, dans la pratique du zen à 18 ans ?
Maître Wang : Alors, j'avais 17 ans.
Jean-Charles : 17 ans, pardon.
Maître Wang : Non, non, mais qu'est-ce qui m'a amené ? Ça a été un concours de circonstances assez ordinaire, on va dire. Des amis m'ont proposé de participer à une séance d'aïkido, à cet art martial japonais. Il se trouve que l'enseignant dans ce club d'arts martiaux faisait pratiquer la méditation zen pendant 15 ou 20 minutes avant la séance d'Aïkido et après. Je me suis retrouvé assis dans cette posture de Zazen, qui est quand même très spécifique, très précise. On me l'a expliqué en trois minutes et je me suis retrouvé immobile, sans savoir quoi faire, ni comment penser, je n'avais aucune instruction. Mais il se trouve que cette expérience a été assez fondatrice ou révélatrice parce que le lendemain, j'avais envie de me re-asseoir et que le surlendemain, je suis allé dans une librairie, j'ai trouvé un des rares, je vous parle de ça, on était en 73, préhistoire. J'ai trouvé un des rares livres sur le zen de l'époque. Je m'y suis vraiment intéressé. Et là, j'ai commencé à étudier. Et j'ai eu la chance très vite de rencontrer Maître Deshimaru lors d'une sesshin, une retraite zen qui était organisée dans le sud de la France. Et là, j'ai vraiment compris tout de suite que c'était un personnage historique et vraiment impressionnant. Et un vrai maître zen.
Jean-Charles : Qu'est-ce qui vous a fait ressentir ça ?
Maître Wang : Vous savez, il y a des fois, où on n'a pas besoin d'explications. C'était, on peut dire, je ne sais pas si on peut dire chimique ou spirituel, mais en tout cas, il n'y avait pas de doute. Et donc, à partir de ça, j'ai continué à pratiquer le zen tous les jours, sous sa guidance, donc, en suivant bien toutes les instructions qui étaient données, qui sont vraiment très, très précises. On en reparlera sans doute aussi. Et donc j'ai continué, j'ai reçu les préceptes bouddhistes très vite, au bout de deux ans. Et j'ai décidé de devenir moine zen, et le maître Deshimaru l'a accepté. Donc, voilà, c'est une histoire qui s'est faite à la fois, très vite et d'une façon tellement naturelle que c'était très fluide, il n'y avait pas d'hésitation.
Jean-Charles : Et qu'est-ce que cela implique ? Quelles sont un peu les responsabilités ou les devoirs, je ne sais pas si c'est les bons termes, d'être moine zen ?
Maître Wang : Il n'y a pas beaucoup d'interdits dans le bouddhisme zen, par exemple. Et c'est sans doute pour ça que beaucoup de jeunes européens, à cette époque-là, se sont tournés vers le bouddhisme zen. On pouvait garder une vie de famille, on pouvait avoir un conjoint, une conjointe, on pouvait avoir des enfants, on pouvait continuer à avoir une activité sociale. Cependant, ça demande quand même évidemment, de suivre les préceptes bouddhistes, c'est-à-dire d'installer vraiment une éthique dans son quotidien, et de pratiquer le Zazen matin et soir, quelles que soient les conditions de notre vie quotidienne. Il y a des fois, ce n'est pas facile de se lever à 6h du matin pour aller s'asseoir face à un mur, parce que je crois qu'on a tous tellement d'autres choses plus importantes à faire que de ne rien faire. Donc, il y a toujours prétexte à faire autre chose.
Jean-Charles : Et, du coup, je suis très intéressé de creuser ça. On vous a expliqué au début de ce premier cours, la posture Zazen en trois minutes. Est-ce que vous pouvez nous expliquer aujourd'hui la posture Zazen en trois minutes et ce que ça veut dire et à quoi ça ressemble ?
Maître Wang : Oui, c'est possible de le faire très vite. C'est une posture très précise. On s'assoit en demi-lotus. Souvent, les gens ne peuvent pas faire le lotus. Si on peut faire le lotus, c'est mieux. En demi-lotus ou en quart de lotus, donc bien stable sur le sol. On utilise un zafu. C'est un coussin vraiment spécifique, qui garde une bonne épaisseur. Et on s'assoit donc avec une assise bien stable, c'est très, très important, un contact avec la terre. Et sur ce triangle des genoux et des fesses, on laisse simplement la colonne vertébrale se redresser. La tête est placée dans le prolongement de la colonne. Le regard est baissé, presque les yeux fermés, mais pas tout à fait. Et on place les mains dans une position très précise, qui est un mudra, qui est très important dans le bouddhisme. Et on place les mains près du ventre, et on se tient droit, et on dégage bien le ventre, c'est important. On ramène toute son attention, toute sa présence, à la fois, dans la posture et dans tous les points de la posture. Et dans sa respiration. On suit simplement sa respiration. Et quelle que soit la nature des pensées qui apparaissent, de cette activité mentale incessante, on n'y touche pas. On les laisse libres. Ça veut dire que, contrairement à ce qu'on lit dans beaucoup de mauvais livres sur le zen, on ne cherche absolument pas à couper la pensée ou à arrêter la pensée. Simplement, on laisse la pensée à elle-même. On commence à comprendre que ces pensées, qui apparaissent à longueur de temps, ne nous résument pas, ne sont pas de notre propre activité la plupart du temps, mais uniquement issues des causes et conditions présentes. On voit quelque chose et on commence à avoir une pensée et donc à parler, etc.
Jean-Charles : C'est fascinant. Et quand vous laissez cette pensée à elle-même, comment vous avez vu votre propre évolution face à ces pensées, entre la première séance et aujourd'hui ? Comment on réagit et comment vous pouvez conseiller à quelqu'un qui s'est assis suite à nous avoir écouté de gérer ses premières pensées, ses premières arrivées ?
Maître Wang : Alors, justement, je pense que les mots qu'on emploie aujourd'hui sont à la fois très intéressants, mais pas très appropriés. On cherche à tout gérer, tout le temps. Et pour cause, parce qu'on est de plus en plus sollicité, et on doit toujours être dans la performance et dans cette espèce de haut niveau intellectuel. Et on veut gérer ses émotions, on veut gérer sa vie, on veut gérer son temps, on veut gérer ses pensées. Évidemment, on veut gérer ses actions en Bourse en même temps, etc.
Jean-Charles : Pas aujourd'hui, mais surtout aujourd'hui.
Maître Wang : Donc, on veut gérer beaucoup, beaucoup de choses, ses relations sentimentales, ses relations émotionnelles, etc. Arrêtons de gérer un peu. On dépose ça, on le laisse et on n'essaie plus d'avoir cette espèce d'auto-contrôle sur ce qui apparaît en nous-mêmes. Laissons les choses être, et non pas être comme nous voulons qu'elles soient. C'est bien là qu'est le cœur du problème de ce qu'on appelle l'ego. C'est cette espèce d'emprise constante de cette idée d'une personne qui contrôle tout. Et c'est certainement ça, une des grandes vertus du bouddhisme zen, c'est de commencer à découvrir que si on relâche cette emprise, non seulement on ne perd rien, on ne disparaît pas, on n'est pas abîmé, mais au contraire, on ouvre le champ des possibles, de la conscience et de ce que nous sommes en réalité. C'est-à-dire, encore une fois, un avec l'univers. Donc, c'est un cheminement qui est totalement différent de celui qu'on essaye d'utiliser aujourd'hui pour beaucoup de choses. Et qui renverse complètement notre rapport à nous-mêmes.
Jean-Charles : Et cette pratique de la méditation zazen, c'est deux fois par jour dans les instructions normales. Ça dure combien de temps ? Est-ce que c'est progressif aussi ?
Maître Wang : Au début, quand on s'assoit 30 ou 40 minutes en demi-lotus, ça peut faire drôle, oui. En général, on y arrive. Simplement, on considère que la principale difficulté dans la méditation zen, ce sont nos genoux qui font mal ou qui peuvent faire mal. Ce n'est pas tout le monde. Ce n'est pas du tout la principale difficulté. Voilà, c'est une des difficultés. Mais ceci dit, si vous commencez à vous entraîner pour le marathon ou pour n'importe quelle activité d'ailleurs, vous allez avoir des douleurs liées à la répétition. J'ai appris très jeune également à jouer de la guitare. J'adorais ça et je passais des heures à jouer. Mais à un moment donné, on a les doigts en sang. Et quoi qu'on fasse, il y a ces phénomènes. Donc, il y a une espèce d'habitude qu'on prend. Et puis, on commence à installer aussi un tout autre rapport à ce qu'on appelle la douleur, un rapport très paisible. On peut avoir mal sans se prendre la tête avec cette douleur. On peut la laisser là où elle est. Et ça, c'est un grand apprentissage de Zazen, parce que très souvent, dans notre vie, nous allons avoir mal. Et tant que c'est des douleurs du corps, on appelle ça des douleurs. Mais quand ça devient des douleurs d'un autre type, plus intérieures, plus spirituelles, ça s'appelle des souffrances. Et c'est autre chose encore.
Jean-Charles : Et là aussi, cette pratique permet de laisser ces souffrances où elles sont.
Maître Wang : Alors ça, c'est le cœur du bouddhisme. C'est de commencer à étudier, justement. C'est la base de l'enseignement du Bouddha, de commencer à comprendre et à étudier, à regarder la cause de ces souffrances. Et la cause de ces souffrances, elle est vraiment très claire, c'est nous-mêmes. C'est notre propre rapport au monde qui est à la base de tout.
Jean-Charles : Et, du coup, la pratique bouddhiste amène à... Plus on avance et plus on est conscient que tout vient de nous et j'aimerais bien comprendre comment on s'éclaire progressivement là-dessus. Et vous parliez aussi de... On ressent des profondeurs de conscience qu'on a du mal à anticiper. Que vous nous décriviez ça un peu... Je ne sais pas si ça peut être décrit de manière concrète, parce que c'est très dans le ressenti, mais essayez de nous raconter ça.
Maître Wang : Alors, c'est très bien identifié dans tous les enseignements bouddhistes. Oui, il y a différents niveaux de conscience qui s'apparentent, par exemple, au ressenti d'une joie profonde, des états de joie sans cause. Juste d'être là, on se sent merveilleusement bien. Mais le bouddhisme et le zen en particulier ne consistent pas à s'installer dans un état de conscience, quel qu'il soit. Donc, on ne s'installe pas et de rechercher une condition particulière de la conscience. Ces états de conscience modifiés, c'est autre chose. Mais on peut aussi découvrir des états de paix, des états d'unité, de conscience, mais réellement d'être un avec tout. Ce sont des choses sur lesquelles il est très difficile de mettre des mots, parce que ça devient vite un peu ordinaire, un peu bébête, même. Mais quand nous le vivons, c'est tout à fait autre chose. Et à chaque fois, on ne s'installe pas dans ces états, mais naturellement, d'autres espaces, on peut dire, s'ouvrent d'eux-mêmes. On n'a pas besoin de les chercher. Pourquoi ? Parce qu'ils sont déjà présents. Simplement, on est tellement voilé dans nos propres concepts ou dans nos propres limites que nous avons créé nous-mêmes, qu'il est très difficile de s'en libérer.
Jean-Charles : Et ces états de conscience, maintenant, vous les vivez à quelle fréquence ? C'est à chaque pratique, tous les matins, tous les soirs ?
Maître Wang : Je ne compte pas. Quand on aime, on ne compte pas.
Jean-Charles : Oui, bien sûr.
Maître Wang : Non, ce n'est pas de cet ordre-là. C'est... Vous me demandiez tout à l'heure si j'ai l'impression d'avoir progressé. Très sincèrement, je ne sais pas. On ne peut pas répondre à ça. Mais ce qui est sûr, c'est que s'il y a une progression, elle n'est pas dans le sens de ce qu'on attend. La progression, c'est toujours vers le haut et toujours vers le mieux. Quand l'ego lâche cette emprise, ce n'est pas du tout une espèce de progression de l'ego. C'est une détente de cette illusion de l'ego. Donc ça ne va pas avec les façons dont on voit les choses en économie ou partout d'ailleurs aujourd'hui. La dimension spirituelle et matérielle est très importante. De bien comprendre que nous sommes dans une société, une culture actuellement particulièrement, qui est devenue terriblement matérialiste. Et même la spiritualité, on en fait du matérialisme. C'est-à-dire qu'on est dans un matérialisme spirituel. C'est déjà identifié depuis la fin du XXe siècle, mais là, c'est de plus en plus. Et toutes les pratiques de méditation ou de technique doivent servir à quelque chose. Mais on n'est pas dans ce monde-là. C'est ça qui est un peu difficile à comprendre aujourd'hui. On n'est pas dans un monde du plus ou du moins, où on gagne ou on perd. Ça ne fonctionne pas comme ça.
Jean-Charles : Vous parliez de ce maître Deshimaru qui vous a beaucoup impacté. Quels sont les enseignements les plus importants que vous avez reçus ?
Maître Wang : Alors, il y en a pas mal. Il y en a pas mal, parce que Maître Deshimaru a beaucoup, beaucoup enseigné. Mais je pense que le principal, c'est certainement le trésor qu'il a réussi à communiquer en Occident, c'est ce qu'on appelle dans le Zen Mushotoku. C'est un mot qui est extrêmement important. C'est-à-dire, c'est très difficile à traduire, comme beaucoup de mots bouddhistes ou zen, on peut le traduire par « sans objet » ou « sans esprit de profit ». Justement, de faire les choses sans en attendre quelque chose. Alors ça, c'est vraiment un enseignement qu'on peut mettre réellement dans son quotidien. Bien entendu, on n'a jamais fini d'approfondir et de découvrir ce que ça veut dire. Mais nous sommes constamment à la poursuite de quelque chose. Et ça, il vaut mieux le comprendre très vite. Alors, c'est très bien tant qu'il s'agit du boulot, c'est très bien. Tant qu'il s'agit de, je ne sais pas, de son salaire ou de son pouvoir d'achat peut-être, pourquoi pas ? Mais en spiritualité, disons, les choses ne fonctionnent pas encore une fois comme ça. Et donc, il vaut mieux comprendre vite qu'il y a des sujets sur lesquels on peut attendre du résultat, et on est obligé d'ailleurs, parce qu'en général, quand on bosse notre patron, il attend quelque chose de nous, mais que tout ne fonctionne pas comme ça. Et ça, c'est quelque chose que peut-être l'être humain a complètement perdu aujourd'hui, c'est-à-dire cette espèce de manque structurel à combler, tout le temps, tout le temps, tout le temps, il faut remplir parce qu'on n'est jamais satisfait.
Jean-Charles : J'aime beaucoup faire des choses sans en attendre quelque chose. C'est très puissant. Et du coup, il y a cette relation, du coup, j'ai l'impression, maître-disciple. En quoi vous pensez qu'elle est importante et utile ? Et à quel point elle vous a façonné et à quel point vous essayez de la répliquer peut-être dans l'autre sens maintenant ?
Maître Wang : C'est un point qui est central. Dans la tradition du zen, la relation, la transmission de personne à personne. Ce qu'on appelle Ishin Denshin, qu'on traduit d'esprit à esprit ou de cœur à cœur. On préfère traduire par cœur à cœur, c'est-à-dire ce que nous avons de plus vaste à ce que vous avez de plus vaste. Cette relation, elle, est avant tout basée sur l'expérience. On ne peut pas tellement la théoriser ou l'exprimer avec des mots, parce que ça devient aussi très pauvre. C'est l'expérience vivante de quelque chose qui se transmet à travers les pratiques de méditation, notamment, et les enseignements qui sont donnés. À un moment donné, on sait de quoi parle notre maître.
Jean-Charles : On finit par le comprendre de manière, au fond de nous.
Maître Wang : À partir de notre expérience réelle. Et c'est ce qu'on doit lui montrer d'ailleurs. Et évidemment, dans le zen, cette transmission, elle se fait depuis des millénaires. Donc, c'est quelque chose que nous essayons, nous faisons, nous transmettons en Europe aujourd'hui.
Jean-Charles : Comment fonctionne un centre zen ? Il y a cette approche méditative qui est quand même assez personnelle, et à la fois, il y a une notion de communauté qui est très importante. Comment vous combinez les deux et quel est le fonctionnement ?
Maître Wang : Les deux fonctionnent vraiment bien ensemble. Un centre zen, c'est effectivement un groupe d'êtres humains qui sont là pour la même chose. Un temple, notamment, il y a une communauté qui est présente. Et dans le zen, cette idée de vivre ensemble du matin au soir est centrale. Il y a très peu de pratiques solitaires dans le zen, voire pas du tout. Cependant, même si on est assis les uns à côté des autres, dans le dojo pour pratiquer Zazen, nous sommes profondément seuls, mais ce n'est pas cette solitude un peu angoissante qu'on peut sentir dans notre vie. C'est au contraire d'être relié spirituellement à toute chose. Donc, c'est assez paradoxal parce que ce n'est pas opposé. La solitude et la vie en communauté, c'est totalement transparent. Ça respire ensemble.
Jean-Charles : Et une journée type pour vous ressemble à quoi ?
Maître Wang : Alors, dans un monastère zen, c'est très, très, très structuré. On se lève à 6h, 5h30 ou 6h du matin. Il y a la méditation, on commence toujours par le zazen, qui est suivi d'une cérémonie bouddhiste. Parce que toutes les pratiques que nous faisons sont toujours dédiées pour le bien des êtres, c'est jamais pour nous-mêmes. Donc les cérémonies, ça permet, dans cette unisson de chanter des sutras dans cette harmonie et de dédier les mérites spirituels pour le bien des êtres. On ne garde jamais les choses pour soi. Ça n'a pas de sens. Et donc, après, il y a les petits déjeuners traditionnels. Tout est très ritualisé dans un monastère zen. Et ça a beaucoup de vertu, parce que ça nous ramène constamment dans le moment présent, les rituels ont cette qualité de faire qu'on fait attention aux moindres détails. Même prendre son déjeuner, c'est un moment de pratique, ce n'est pas juste se remplir l'estomac. On chante un sutra, etc. Donc, c'est vraiment accompagné, encadré. Ça nous ramène à l'instant présent et ça nous permet de nous oublier nous-mêmes, justement de nous abandonner ou d'abandonner cette volonté personnelle dans quelque chose de plus grand que nous-mêmes. Une autre énergie, on peut dire. Qui est la vertu de la communauté ? C'est de ne plus se regarder comme un individu dans le groupe, mais de voir le groupe comme quelque chose qui avance ensemble, qui vit ensemble.
Jean-Charles : Et s'abandonner, du coup, s'oublier, soi-même dans les rituels, d'où l'importance de ritualiser tous les moments de la journée, de la pratique.
Maître Wang : Oui, ça, c'est certainement une des spécificités du bouddhisme zen. Alors, il y a beaucoup d'Occidentaux qui sont très réticents aux rituels. C'est dommage parce que nous n'arrêtons pas de mettre du rituel dans notre vie. Et ça va du café qu'on boit le matin avant de commencer à faire, quoi que ce soit. Ou alors il y en a qui commencent à prendre leur douche. Mais sans ma douche, je ne peux rien faire. Et donc, on a tous ces petites manies, ces petits rituels qui nous permettent de nous situer justement dans notre espace et avec les autres. Mais dans le zen, ça prend encore une autre dimension, c'est que ce sont les mêmes pour tout le monde. Ce n'est pas juste mes petites habitudes ou mes petites manies. Non, c'est des rituels faits, toujours à partir du corps. Ça, on va y revenir, j'imagine. Mais le corps est central dans tout ça. C'est le seul élément à peu près stable de ce que nous sommes. Je dis bien à peu près stable. Mais voilà, c'est solide, c'est là, c'est présent. Et donc, à chaque fois qu'on fait quelque chose, on devrait être dans cette présence au corps. Parce que c'est ça qui nous ramène à cette présence dans le moment présent.
Jean-Charles : Et j'ai l'impression aussi que, par rapport aux habitudes quotidiennes, dans ces rituels, il y a aussi une certaine intention qui est aussi puissante dans la pratique du bouddhisme zen.
Maître Wang : Alors, c'est cette intention de dédier les choses aux autres. Cette pratique pour les autres. C'est quelque chose de central dans le bouddhisme. Ça s'appelle l'interdépendance. C'est vraiment un des grands enseignements du Bouddha, mais qui est tellement présent aujourd'hui que c'est fou, d'une certaine mesure, parce qu'il a exprimé ça il y a 2600 ans, il n'y avait pas d'Internet, il n'y avait pas de téléphone portable, il faut se rendre compte.
Jean-Charles : Non, ça, ça existait.
Maître Wang : Mais déjà, il a compris que tout dans le monde ne pouvait fonctionner qu'ensemble. Et on ne peut rien extraire, rien retirer de la totalité. Et ça, c'est la chimie, c'est l'astrologie, c'est l'astronomie. On ne peut pas retirer une étoile. Non, ça ne marchera pas. De même, qu'un micron, un électron, on ne pourra pas l'enlever. Ça n'existe qu'ensemble. Et donc, de commencer à prendre conscience de cette réalité spirituelle, oui, ça change notre regard aux autres, notre attitude avec les autres, avec le monde. Ça change tout, de fait.
Jean-Charles : Et je lisais, mais il y a aussi beaucoup d'attention au travail pratique dans la pratique du zen. Est-ce que vous pouvez nous en parler de son importance ? Qu'est-ce que ça veut dire ? Quels sont les différents types de travaux pratiques ?
Maître Wang : C'est certainement une des caractéristiques du bouddhisme zen. Ça s'appelle le Samu. Ça s'écrit comme le SAMU, mais ce n'est pas le SAMU, ça se prononce Samu. C'est l'activité collective pour la communauté. Et ça, c'est quelque chose qui est apparu en Chine au 7e siècle, 7e, 8e siècle, où les monastères bouddhistes, à l'époque, étaient assez mal vus par le peuple, parce que c'est le peuple qui nourrissait les moines. Et à un moment donné, dans les périodes de famine, notamment, ou de difficultés, de guerres, les gens en avaient marre de nourrir des gens qui ne faisaient rien. Et les premiers maîtres zen qui ont mis ça, qui ont changé les choses, ça s'est fait à cette période-là, en disant qu'un monastère zen vit avec l'activité de la communauté. Il n'attend rien de l'extérieur. Alors, ce n'est pas interdit de faire des dons, bien sûr, tout ça, c'est possible. Mais à la base, ce sont les moines et nonnes qui prennent soin de leur vie quotidienne, de cultiver, de faire à manger, de nettoyer, etc. Ce qui est une révolution dans le bouddhisme, parce que jusqu'alors, les moines et les nonnes n'avaient pas le droit de travailler. Ils se consacraient à autre chose. Et dans le bouddhisme zen, cette activité a été mise sur le même plan que le Zazen, lui-même, que la méditation, elle-même. C'est-à-dire que c'est une activité altruiste où on s'oublie de la même façon que pendant zazen. On ne le fait pas pour soi, on le fait pour la communauté. Et ça change beaucoup de choses dans notre façon de faire et dans notre façon d'être aussi, bien entendu.
Jean-Charles : Il y a aussi une importance du silence dans la pratique zen. Est-ce que vous pouvez nous parler de ces vertus, de pourquoi le silence et de votre approche à ça ?
Maître Wang : Le silence, c'est quelque chose qu'on n'a jamais fini de découvrir. Mais ce n'est pas juste l'absence de mots. Le silence dont on parle dans le zen, bien sûr, on essaye absolument d'éviter les bavardages, parce que c'est ça, finalement, qui pose problème. C'est quand on laisse la pensée en roue libre et qu'on part comme ça dans des divagations. Mais on essaye de le faire également en nous-mêmes, évidemment. Ce qui nous intéresse le plus, là, c'est bien le monologue intérieur.
Jean-Charles : Le silence intérieur, du coup.
Maître Wang : Oui, mais cette pensée qui n'arrête pas à longueur de temps, et qu'on ne doit pas encore une fois arrêter, parce que ce n'est pas possible d'arrêter la pensée, mais en tout cas, créer cette distance suffisante. Vous voyez, là, il y avait une perceuse ou je ne sais pas quoi. Bon, on la laisse tranquille, voilà. Et on peut faire la même chose avec nos pensées. C'est-à-dire les laisser, mais ne pas s'y identifier ou se les approprier en se disant « ce sont mes pensées et je suis moi et je fais ce que je veux, etc. » Et là, ça change tout parce que ce silence intérieur nous permet directement d'être présent au monde. Sinon, nous nous enfermons dans cette bulle mentale. C'est automatique.
Jean-Charles : Quand on perçoit le monde juste à travers cette bulle mentale, on n'est plus connecté à celui-ci.
Maître Wang : Ou alors, on l'est, mais uniquement à travers des interprétations ou des analyses, et on ne fait qu'alimenter cette bulle.
Jean-Charles : Donc, la première étape, c'est de prendre conscience de la bulle, et après...
Maître Wang : Voilà, et de la laisser être, comme les petites bulles de champagne, c'est-à-dire apparaître, disparaître.
Jean-Charles : Excellent. Vous parliez justement de l'importance du corps dans la pratique zen, et je serais ravi que vous nous expliquiez quel rôle ça joue, comment on approche, comment on définit son importance.
Maître Wang : Alors, il y a une chose qu'il faut dire vraiment en préambule. C'est que dans toutes les médecines orientales et dans toute la vision holistique orientale, corps et esprit sont un. Et ça, ce n'est pas spécifique au zen. Au bouddhisme, c'est vrai, dans pratiquement toutes les autres grandes traditions qui viennent d'Orient, de ne pas avoir créé cette séparation originelle d'une certaine façon. Il y a le corps et il y a l'esprit qui existerait séparément ou en cohabitant. On ne comprend pas très bien d'ailleurs comment, mais de fait, corps et esprit sont un. Et ils ne peuvent pas exister séparés. Donc, il faut vraiment avoir cette réalité présente, de ne jamais séparer corps et esprit. Alors, l'esprit a beaucoup de qualités, certainement, beaucoup d'utilités, aussi, mais le corps a des vertus absolument essentielles. Et notamment, le corps n'est... conscient, et j'emploie ce mot en conscience, n'est conscient que du moment présent. Il est totalement un avec le moment présent. Nos yeux ne voient que ce qui est devant nous, pas ce qui est derrière, ou ce qui était tout à l'heure, ou ce qui sera demain. Alors, tous nos organes des sens fonctionnent comme ça, tout notre organisme, là, je suis en train de digérer le petit truc que j'ai mangé tout à l'heure, etc. Donc, tout notre organisme n'existe, tout le corps, que dans l'instant présent. Et notre respiration aussi, parce qu'on n'a pas encore parlé de la respiration, mais c'est absolument essentiel, c'est un outil fabuleux, justement, parce que non seulement c'est notre principale source d'énergie, de vie, et c'est tout le temps là. Et on n'oublie jamais le corps, lui, il n'est pas distrait. Il n'oublie pas de respirer. Donc, il n'est que dans cette présence à l'instant. Or, notre principale difficulté en tant qu'être humain, c'est notre mental. On part partout, sauf ici et maintenant. Donc, quand même, on a là quelque chose à observer. C'est que plus on revient au corps, qui est là, tout le temps, à la respiration, plus on ramène ce mental fantasque dans sa vie. Parce que tout ça, c'est notre vie, quand même. Voilà, donc le moment présent, c'est ce que nous avons vraiment de plus réel dans cette existence. Hier n'existe plus, demain n'existe pas. Dans le bouddhisme, on insiste et pour cause énormément sur le caractère impermanent de toutes choses, ça fait partie des bases de l'enseignement du Bouddha, cette réalité que tout, sans exception, apparaît et disparaît, d'un moment à l'autre, ou change. Et c'est valable pour la météo, c'est valable pour un nuage, c'est valable pour une fleur. Pour un arbre, pour une montagne, même si ça paraît tenir un peu plus longtemps, mais ce n'est pas vrai, parce qu'on voit bien maintenant qu'on peut mesurer qu'il y a des montagnes qui grandissent, il y en a d'autres qui diminuent. Donc, même elles, elles bougent, mais c'est surtout valable pour notre esprit. Donc de recommencer à regarder ce que nous sommes à travers cette réalité de l'impermanence. Toutes ces émotions, toutes ces sensations, ces ressentis, ces compréhensions, ces certitudes que nous avons sont de nature impermanente. Et ça, ça change beaucoup de choses. Tout simplement parce que quand nous oublions la réalité de l'impermanence, elle ne nous oublie pas. Et que quand ça frappe, ça fait mal. Et la réalité, c'est que dans nos vies, à chaque fois que nous sommes directement confrontés à l'impermanence, c'est de la souffrance. Ou en tout cas, la plupart du temps, nous le prenons, nous le vivons comme souffrance. Quelqu'un meurt, un ami, un proche, j'étais en bonne santé, j'apprends que j'ai une maladie. J'avais un boulot, je n'en ai plus. J'ai aimé quelqu'un, la personne ne m'aime plus, etc. Donc cette réalité-là... Elle est manifeste, elle fait vraiment partie de notre vie, tout le temps. La plupart du temps, ce n'est pas bien grave. Il pleut ce matin, je vais prendre un parapluie, ce n'est pas grave. Mais quand ça frappe, c'est douloureux, voire même très douloureux. Il y a quand même des expressions qui sont employées dans ces moments-là, qui sont intéressantes. Les gens disent, enfin, on dit, je suis détruit. Ou je suis anéanti. C'est quand même des mots forts. Mais c'est vrai, parce que tout ce sur quoi nous basions, notre vie, nos certitudes, nos compréhensions, tout d'un coup, on s'aperçoit que c'est un château de sable, qu'il n'y a plus rien qui tient et ça s'effondre. Donc il vaut mieux... Il vaut mieux étudier cette réalité de l'impermanence de façon paisible. Mais c'est vrai. Et de le faire tranquillement, parce qu'elle n'a rien de terrifiant. Elle est naturelle.
Jean-Charles : On a peu de contrôle sur celle-là, donc autant...
Maître Wang : D'une part, mais en plus, il n'y a rien de plus naturel que l'impermanence. Il y a le jour, il y a la nuit, tout bouge dans l'univers. Donc, il vaut mieux la découvrir ou l'étudier ou la comprendre quand tout va bien ou quand on est en bonne condition pour ça, plutôt que quand on est anéanti. Parce que là...
Jean-Charles : C'est un peu tard.
Maître Wang : Ben oui. Et là, ça crée tout un tas de conséquences difficiles.
Jean-Charles : Et comment on étudie cette impermanence, du coup ?
Maître Wang : En regardant. Mais pas en regardant les choses, parce que ça, c'est un peu facile de regarder que les autres prennent de l'âge, que celui-là on ne peut pas compter sur lui parce qu'il change toujours d'avis, etc. Ça, c'est facile. Non, ce qu'il faut, c'est regarder à l'intérieur. Notre propre esprit, tout dans le fonctionnement de ce corps-esprit, est de nature impermanente. Et c'est super ! Je veux dire, il n'y a rien d'angoissant à ça. Au contraire, c'est pour ça qu'on est des êtres créatifs et qu'on a cette capacité de changement, donc d'évolution, de transformation, aussi dans des aspects très positifs, très magnifiques de notre existence. Donc, il ne faut pas regarder ça d'une façon négative. Souvent, le bouddhisme est perçu comme un truc pessimiste ou limite nihiliste. C'est une image qui a été longtemps répandue en Occident. Moi, je trouve que c'est le message d'espoir par excellence, puisque le Bouddha, lui-même a montré que nous pouvons nous éveiller. Nous avons cette capacité de nous éveiller. Je ne sais pas pourquoi l'être humain choisit toujours, il y a la lumière et il va regarder ailleurs.
Jean-Charles : Vous l'expliquez comment ?
Maître Wang : C'est certainement à travers cette perception erronée de lui-même et des relations au monde.
Jean-Charles : Vous parliez tout à l'heure de respiration. Est-ce que vous pouvez me... Quelles sont vos pratiques de respiration ? Comment vous respirez ? J'imagine à différents moments, mais je serais ravi de manière un peu concrète. Quels sont les rituels de respiration qui sont les vôtres ?
Maître Wang : Alors, la respiration. Pendant Zazen, il n'y a pas de technique. Ce n'est pas des pratiques de yoga, de la respiration, etc. C'est de laisser la respiration la plus naturelle possible, la plus calme possible, enfin, en tout cas de la laisser s'apaiser. Et naturellement, la respiration devient plus calme, plus profonde, et le corps recommence à respirer. C'est-à-dire qu'on respire avec tout le corps. Mais moins on y touche, mieux c'est. Et on ne cherche pas du tout à s'imposer une manière de respirer volontaire ou dirigé, contrôlé. Au contraire, on laisse la respiration, on laisse le corps respirer. Simplement, on accompagne la respiration avec notre attention. C'est-à-dire qu'on suit la respiration comme si on accompagnait quelqu'un, on marche côte à côte.
Jean-Charles : Et ça, c'est un... Du coup, c'est quoi ? C'est d'observer sa respiration. Et comment son...
Maître Wang : La respiration recommence à devenir cette chose merveilleuse, c'est-à-dire l'énergie, le bien-être, parce que notre corps aime respirer. On l'oublie un peu, mais il en a besoin. Et donc, quand on est, par exemple, fatigué dans une journée ou qu'on est, à un moment donné, un peu énervé. Ou quoi, on va à la fenêtre, on prend quelques grandes respirations et tout de suite, on se sent bien. C'est mécanique. Donc, tout ça, on retrouve ces qualités-là, ces vertus, notamment au niveau de l'énergie. Parce que cette respiration a naturellement tendance, avec la posture, à descendre. Elle ne reste pas à un niveau superficiel ou dans le haut du corps. Mais au contraire, elle va naturellement vers le hara, toute la masse abdominale, et tout ça se détend et devient fort. Le ventre devient fort. Et Deshimaru nous disait toujours, vous devez être fort ici. Et des fois, quand il était au Japon, il envoyait des cartes postales, il disait, comment allez-vous mes chers disciples ? Sous le nombril. Il ne voulait pas savoir comment on allait là, il voulait savoir comment on allait là. C'est-à-dire si on était bien stable et bien heureux.
Jean-Charles : J'adore. Selon vous, quels sont, dans ces rituels, dans ces pratiques, zen, les bienfaits les plus significatifs pour la santé mentale et la santé physique ?
Maître Wang : Il y en a beaucoup. Il y en a beaucoup. Certainement, si on veut résumer, disons, aujourd'hui, en tout cas, et tout particulièrement pour les personnes qui débutent, c'est cet apprentissage du lâcher prise. C'est un mot qu'on a beaucoup employé dans les années 70-80. Il faut lâcher prise, mais l'image est bonne. Notre mental est vraiment comme une main. Et cette main, normalement, on saisit un objet avec la main, mais la main du mental, elle saisit les objets mentaux, les pensées, les émotions, toutes les formes, les images mentales, etc. Et elle se referme. Et c'est ça qui crée cette bulle mentale, cette chose qui, à un moment donné, ne sent pas très bon parce que ça sent le renfermé. On pense toujours à partir de soi-même, sur soi-même, etc. Donc, de temps en temps, il faut aérer. Et la pratique de Zazen nous apprend à rouvrir, si on veut faire simple. Mais c'est très salutaire. Parce qu'on ne peut pas être dans cette contraction trop longtemps. Il faut apprendre à lâcher. Mais à lâcher pas à partir du mental, à lâcher à partir d'une autre énergie que le mental. Et c'est là où ces pratiques sont des enseignements. Parce que ça ne peut pas s'improviser, ces choses-là. Ce sont des enseignements spirituels et on peut très bien créer du mental dans le mental. C'est truffé de pièges, ces pratiques de méditation. Il faut vraiment le comprendre. Je prends souvent l'exemple de quelqu'un qui veut apprendre à jouer du piano tout seul. S'il n'est pas trop bête, il va comprendre qu'il y a une gamme et qu'il va retrouver des notes de musique. Et il va même réussir à jouer un petit air, mais très, très vite, il va commencer à tourner en rond. C'est normal, et à en avoir marre. Il va dire, mais c'est... Bon, je vais faire autre chose. Et puis les voisins aussi, ils vont commencer à fatiguer aussi. Donc oui, on peut très vite s'enfermer dans ces idées, dans ces nouvelles opinions, si vous voulez.
Jean-Charles : Et donc la pratique de cet enseignement-là, comment ça fonctionne ? Vous allez décrire la suite dans un zazen, ce que vous avez ressenti. On va vous accompagner ? Ou c'est un enseignement plutôt où on vous partage des idées et ça vous accompagne ? Et c'est vous progressivement qui faites ce travail ?
Maître Wang : Pendant le zazen, il y a des enseignements qui sont donnés par l'enseignant ou par le maître. Et ce sont toujours des enseignements qui nous ramènent à l'instant présent, au corps, à la respiration, à la conscience. Maintenant.
Jean-Charles : Vous avez un exemple de ce qui pourrait être dit ?
Maître Wang : Par exemple, revenez dans vos pouces. C'est un tout petit exemple, mais qui est tellement significatif. Les pouces, pendant Zazen, sont horizontaux. Ils sont vraiment, on dit, ni montagne, ni vallée. Dès qu'on commence à trop penser, ça remonte. Clairement. C'est mécanique aussi. On commence à s'endormir, ça se sépare et ça tombe. Donc revenir au pouce, c'est changer de condition, de conscience. Et c'est là où on voit que corps et esprit sont vraiment tellement, comme les deux faces de la main. Mais bon, ce n'est pas toujours aussi simpliste. Parfois, on parle des mains, parfois, on parle de la respiration et parfois, on parle de justement ce lâcher les pensées présentes. Parce que nous sommes constamment dans ces énergies d'habitude. On n'est pas devenus des êtres pensants en claquant des doigts. Il faut quand même comprendre que depuis qu'on est tout petit, on est conditionnés d'une façon assez violente. C'est-à-dire qu'il faut apprendre par cœur, il faut savoir, il faut aller dans ce sens-là. Donc, on n'est pas naturellement structuré mentalement ou intellectuellement, comme on l'est. C'est le fruit d'une longue série de conditionnements. Et donc, ça ne s'enlève pas tout seul. Ce n'est pas parce qu'on le décrète ou qu'on le décide. Nous ne savons plus que penser de cette façon-là. C'est triste. Parce que la pensée, ou ce qu'on appelle la pensée, ou la conscience, a tellement d'autres possibilités qu'on est complètement aujourd'hui bloqué dans cet outil mental, et on oublie que ce n'est qu'un outil. On ne sait plus penser autrement. Et à travers le zazen, à travers ces pratiques spirituelles, on redécouvre de nouvelles façons d'être au monde, de penser le monde, d'être pensé par le monde, parce que c'est très important. La plupart du temps, c'est le monde qui nous pense.
Jean-Charles : Qu'est-ce que vous voulez dire par là ?
Maître Wang : Qu'est-ce que je veux dire ? C'est que si, par exemple, vous voyez la bouteille d'eau, vous vous dites « Ah, j'ai soif, je vais prendre un verre d'eau ». Par exemple, vous voyez une plante qui est sur la table et vous vous dites « Ah mince, j'ai oublié de donner à boire à la plante ». Mais en fait, parce que la plante, elle vous a peut-être fait « Tu penses à moi ? » Parce que ça se voit quand une plante a soif. Mais la plupart du temps, on est dans cette relation-là, c'est le monde qui nous parle. Ce n'est pas perché ce que je dis.
Jean-Charles : Non, non, c'est très clair.
Maître Wang : Il faut le regarder au quotidien, dans le cœur de son quotidien. On est en train de faire quelque chose, notre téléphone sonne. Qu'est-ce qu'on fait ? On continue à faire ce qu'on est en train de faire ? En général, pas. Tout de suite, hop, voilà. Donc, c'est omniprésent, cette relation-là.
Jean-Charles : Excellent. Quelle est la vision bouddhiste de la santé, justement ? Quelle est l'approche dont vous avez parlé beaucoup de cette impermanence ? Et comment réfléchir à la santé, à son corps, à la santé, de son corps, dans le bouddhisme ?
Maître Wang : Dans le bouddhisme, je pense que la maladie n'est pas opposée à la santé. Et c'est vrai pour tous les problèmes que nous pouvons rencontrer. Nous le vivons parce que la réalité de ce que nous sommes maintenant, c'est d'être ce qu'on considère malade, mais de vivre avec ces conditions-là. C'est-à-dire de ne pas subir d'une façon un peu moraliste une maladie, et on se dit, c'est injuste, pourquoi moi, pourquoi pas l'autre, etc. Mais de le prendre comme étant ce que nous devons vivre maintenant. Ceci dit, la meilleure façon reste quand même la prévention, c'est-à-dire de prendre soin de sa vie quand on est en bonne santé, de façon à ne pas provoquer soi-même un certain nombre de maladies. Et c'est vrai qu'on donne beaucoup d'importance à l'alimentation. On a bien conscience que tout est relié. Aujourd'hui, je pense qu'on commence vraiment à comprendre dans nos sociétés qu'on ne peut pas manger n'importe quoi. On ne peut pas faire n'importe quoi tout le temps. Donc, l'hygiène alimentaire, ça existe. Et ce qu'on mange, ça a des effets. Et qu'il ne faut pas abuser. Voilà. Et donc... Il y a un enseignement qui m'a structuré dans ma vie, parce que je l'ai entendu très jeune, je devais avoir une vingtaine d'années. J'avais lu un maître zen qui disait qu'on devrait pratiquer ou on devrait mettre en pratique dans sa vie, ce qu'on peut pratiquer longtemps. Et on doit réfléchir à ça. Qu'est-ce que je peux pratiquer longtemps, sans que ça commence à avoir des effets nuisibles ? Et à 20 ans, vous avez eu 20 ans aussi, personnellement, j'avais beaucoup d'énergie. Et donc, je faisais des choses. Oui, on faisait la fête, on aimait boire, on aimait faire plein de bêtises. Mais on s'est vite rendu compte, grâce au zazen, que ce sont des choses qu'on ne peut pas continuer longtemps. Alors, les excès, c'est bien, de temps en temps, parce que ça permet aussi de décoiffer, mais on ne peut pas le faire tout le temps. Et ça, beaucoup de gens ne le comprennent pas. Donc, ils sont dans l'excès permanent, mais ça ne peut pas fonctionner.
Jean-Charles : Et du coup, votre alimentation ressemble à quoi ? Merci. Principe de prévention, c'est quoi ?
Maître Wang : Alors on est au temple, au monastère, on est végétarien, entièrement. Mais chacun est libre, évidemment, de faire ce qu'il veut. Mais au temple, on ne cuisine que végétarien. Et sinon, s'il y a des gens qui, au restaurant, veulent prendre un peu de viande ou quoi, c'est chacun qui voit.
Jean-Charles : Et végétarien, est-ce qu'il y a d'autres règles ou rituels qui sont importants dans l'alimentation ?
Maître Wang : Au temple, toujours, il n'y a pas d'alcool. On a une vie saine. On essaie de manger tout ce que nous produisons au potager. On est dans une démarche de permaculture. Donc ça, c'est vraiment... Ça fait vraiment partie de notre façon de voir les choses. Les achats de proximité, le réseau de fournisseurs. Tout ça, on l'a intégré depuis bien longtemps. Le tri des déchets, les énergies, le non-gaspillage. Et quelque chose qui me paraît de plus en plus important, cette pratique de la sobriété. De se passer de tout ce qui n'est pas nécessaire. Et de partage. Parce que dans une communauté, ça a des vertus, ça a également, immense aujourd'hui, c'est qu'on partage les choses. Pour un groupe de 20 personnes, on a deux machines à laver, on n'en a pas 20.
Jean-Charles : Est-ce que le sommeil a une place importante dans le bouddhisme zen ?
Maître Wang : On se couche, enfin, disons, toutes les activités du temple s'arrêtent à 9h du soir. Il y a les claquettes qui signalent que le monastère doit être silencieux. Et la cloche du réveil est à 6 heures. Ça fait 9 heures. Il y en a qui dorment 9 heures. Moi, personnellement, c'est plutôt 4 heures. Mais il y en a, c'est 6, 7. Chacun doit trouver son rythme.
Jean-Charles : Il n'y a pas de règle ou de... La place du rêve, par exemple, qui est une manière d'obtenir une certaine expression.
Maître Wang : Tout à fait. Mais on n'y accorde pas plus d'importance que ça. Je veux dire, c'est naturel. C'est une activité naturelle de la conscience, ça, pour le coup. Mais on ne va pas passer sa matinée à analyser pourquoi on a eu tel ou tel rêve et pour quelle raison, etc. Une fois que le rêve est passé, il est passé. Voilà.
Jean-Charles : Le rêve étant impermanent. Est-ce que... J'aimais bien ce terme et cette distinction entre s'accrocher à sa santé et protéger la vie reçue. Quelle différence vous faites entre ça et ça ? Quelle relation, du coup, aussi à se soigner quand on est malade ? Comment vous réfléchissez à tout ça dans le cadre ?
Maître Wang : Il faut prendre... Ça, c'est vraiment quelque chose que nous n'arrêtons pas de répéter, de prendre conscience que nous avons reçu cette vie, qu'elle est venue, que nous l'avons, qu'elle est présente. Et que nous devons en prendre soin le mieux possible, sans tomber dans les excès égoïstes ou de nombrilisme. C'est tout ce jeu délicat à l'intérieur de nous, que nous devons cet équilibre.
Jean-Charles : C'est vraiment une notion d'équilibre très importante.
Maître Wang : Oui, parce qu'on peut très vite devenir... Comme on dit, quand on a peur de tomber malade, tout le temps.
Jean-Charles : Hypochondriaque.
Maître Wang : Voilà, hypochondriaque. Ou au contraire, on peut se dire, moi, je laisse faire les choses. Mais tant qu'on est en bonne santé, ça va, on se dit ces choses-là. Mais on peut changer d'avis très vite quand ça change.
Jean-Charles : Comment on peut essayer de rendre le zen accessible aux non-pratiquants ? Comment on commence ? Est-ce que vous conseillez ? Vous parlez de la méditation, qui est un enseignement, et tout seul, comme le piano, on peut se mettre dans certaines boucles, mais est-ce que vous conseillez quand même de commencer un jour ? Quels sont un peu vos conseils là-dessus ?
Maître Wang : Personnellement, au Ryumon-ji, c'est le temple en Alsace, on accueille à longueur de temps, c'est-à-dire tous les jours. Des personnes qui souhaitent s'initier ou découvrir la pratique du zen. On leur explique la bonne façon de méditer, la posture de zazen, on s'en occupe. Ils restent quelques jours, ils restent quelques semaines, quelques mois. Ça, ça dépend d'eux. Mais en tout cas, vraiment, on fait attention et on fait tout pour leur permettre de découvrir dans de bonnes conditions la pratique du zen. Justement, en leur donnant les bonnes informations, parce que c'est, encore une fois, c'est une tradition, elle est truffée de pièges, et c'est dommage de perdre du temps, mais surtout l'envie. C'est-à-dire qu'à un moment donné, on se dit, ce n'est pas pour moi ce truc, et c'est dommage. Mais je pense que notre principale motivation, c'est de permettre au plus grand nombre de découvrir et d'expérimenter. Faites une fois l'expérience du Zazen dans de bonnes conditions. C'est-à-dire avec un instructeur, peu importe le mot que vous lui donnez, un enseignant, un guide, un maître, peu importe. Tout ça, c'est dû. On se prend la tête, beaucoup en Occident, avec ça. Dans les temps passés, la chance de quelqu'un, mais vraiment le trésor, c'était d'avoir un maître. Aujourd'hui, c'est devenu... Ça va être un gourou, ça va être un... Non, je crois que dans le zen, les enseignants sont très simples. Ils ne sont pas du tout dans une relation de pouvoir ou de choses comme ça. Au contraire, c'est de la générosité. On donne ce qu'on a reçu, on essaie de transmettre ce qu'on a reçu. D'une façon très libre. Et la personne, elle part, on ne va pas la chercher. Voilà, elle est partie, elle est partie.
Jean-Charles : Est-ce qu'il y a des pratiques d'attention et d'ouverture au monde, qui sont les plus accessibles pour débuter ? Ou c'est vraiment pour vous la méditation Zazen ? Ou est-ce qu'il y a d'autres pratiques ?
Maître Wang : Il y a plein, plein, plein de choses très simples à mettre en place dans sa vie quotidienne. Après, ça dépend ce que vous voulez faire. Mais si c'est, par exemple, juste vous permettre de revenir à l'instant présent, ce qui est déjà très bien, parce que c'est la base, oui, vous pouvez, je ne sais pas, le plus souvent possible, revenir à votre posture. Reprendre conscience dans quelle posture vous êtes. Quand on est là, comme ça, se prendre la tête, de se voir soi-même et de juste corriger, de se remettre droit, de retrouver ce contact avec le corps, avec ses mains, avec son souffle. Rien que ça, c'est très important. Après, vous savez bien, comme moi, qu'il y a des applications... Les petits bambous et autres. Alors, ça paraît un peu des gadgets, et, à mon avis, ce sont des gadgets. Mais pour beaucoup de personnes, c'est une porte d'entrée.
Jean-Charles : Nous, en effet, dans l'application Alan, on a mis des exercices de respiration et de méditation qui aident et qui sont un bon moment de dire, ah, tiens, je dois investir ce moment-là pour me reconnecter à moi-même.
Maître Wang : C'est du bon sens. C'est que du bon sens, finalement.
Jean-Charles : Est-ce que vous avez des conseils aussi pour faire attention à ces pensées qui rentrent dans notre conscience et dans la vie de tous les jours ? Que peut-on faire pour conscientiser ça ?
Maître Wang : On parlait de l'hygiène alimentaire tout à l'heure. On peut parler de l'hygiène corporelle, se laver tous les jours. Faire attention à ses dents, etc. Et aujourd'hui, il y a beaucoup d'hygiène dans nos vies. On se lave trop, d'ailleurs, il me semble. Ce n'est pas justifié, non. Mais on ne parle pas de la conscience. On ne parle pas de l'hygiène, de la conscience. C'est fou. Parce que la conscience, c'est ce qu'on a de plus précieux. Je veux dire, c'est un trésor. Et on pense qu'on peut faire rentrer n'importe quoi et que ça n'aura pas de conséquences, ou qu'on contrôle, ou qu'on maîtrise le truc. Mais c'est une illusion totale. Les choses, elles restent. On a des strates de mémoire extrêmement différentes. On a la mémoire immédiate, on a des mémoires profondes. Et il y a beaucoup de choses, notamment, on le voit chez les enfants. Des images qu'ils ont vues à un moment donné, ça reste. Et donc, évidemment, il faut faire attention à ne pas laisser rentrer n'importe quoi.
Jean-Charles : Et donc, c'est ce qu'on regarde, c'est ce qu'on lit, c'est ce qu'on écoute.
Maître Wang : Bien sûr, bien sûr.
Jean-Charles : Prendre de la distance avec les news en permanence, etc.
Maître Wang : Oui, c'est tous ces excès auxquels on assiste aujourd'hui. Les réseaux sociaux. Et c'est vrai que ce n'est pas facile. On est tous confrontés à ça. Et on a tous les mêmes difficultés à résister ou à s'imposer des règles. C'est très difficile. Il y a des gens qui font des cures pour ça.
Jean-Charles : Oui, et il y a beaucoup d'ingéniosité qui est mise à rendre ces outils...
Maître Wang : Alors, il me semble que ce sont des choses aussi, qu'on découvre. C'est comme un enfant à qui on donne la première PlayStation, il va s'éclater pendant des mois et des mois, et puis, à un moment, il va passer à autre chose. Et il me semble que nous sommes dans ces rapports-là, on découvre des choses qui sont incroyables.
Jean-Charles : Et qui optimisent pour la dopamine, parfois.
Maître Wang : Oui, avec tous les effets chimiques, psychologiques, émotionnels. Tout ça, ça fait vivre. Mais ça alimente quoi ? À la fin ? Ça alimente soi. Ça alimente cette idée que nous sommes quelqu'un. Et qui est à la base... Et ça, c'est l'enseignement du Bouddha. Ça, c'est à la base de tous les malentendus, de toutes les souffrances, de tous les problèmes. Parce que nous ne sommes pas comme ça en réalité. Donc, à force de structurer ce soi, évidemment, on le rend tellement réel qu'il semble réel. Mais il n'a pas d'existence. Il n'a pas de réalité.
Jean-Charles : Je vous rejoins tout à fait là-dessus. En tout cas, je fais beaucoup d'efforts à ne pas être connecté aux news, ne pas être sur les réseaux sociaux.
Maître Wang : Mais on va apprendre ça. Je pense que c'est en cours.
Jean-Charles : Il va falloir que la société doive maturer.
Maître Wang : Le problème, c'est que ça va tellement vite, c'est que ça n'aura pas encore été digéré, qu'il va y avoir encore une nouvelle vague.
Jean-Charles : Et j'ai vu que vous avez un téléphone portable. Quelle est votre relation avec celui-ci ? Comment vous arrivez à...
Maître Wang : Je pense la même que la vôtre. Non, je travaille avec... Bon, ceci dit, non, je crois pas que... Enfin, voilà, je réponds à mes mails, je réponds à certains messages. La plupart du temps, quand le téléphone sonne, je ne décroche pas. Après, je regarde mes messages, je réponds. Enfin, j'essaie. C'est naturel, disons. Je n'ai pas envie de devenir trop, trop dépendant de ça.
Jean-Charles : Je pense qu'en effet, choisir les moments où on interagit et les moments où on n'interagit pas, parce que dans un monde de plus en plus connecté. Quels sont les premiers pas que vous recommandez pour quelqu'un qui souhaite découvrir le zen ?
Maître Wang : Vraiment de le faire sérieusement. Pas de le faire comme quelque chose, une espèce de distraction. Non, c'est sérieux. Une pratique spirituelle, c'est du lourd. Donc, si on ne le fait pas bien, on va avoir un mauvais contact, une mauvaise impression. On va l'oublier. Je pense que ça mérite vraiment de le faire dans de bonnes conditions, avec des personnes qui ont l'expérience, c'est-à-dire de venir dans un temple, de se dire, tiens, dans un monastère, zen, tiens, un week-end, je me prends ce week-end-là pour découvrir. Et de le faire bien, et puis, après, on décide, ça me correspond, ça ne me correspond pas, ou ça... Le zen n'est pas pour tout le monde. Comme rien. Donc, il y en a qui seront plus vers d'autres formes de bouddhisme, il y en a qui... D'autres formes de religion, bien sûr, ou d'autres formes de pratiques non religieuses, qui ne sont pas enfermées dans une religion. Voilà, il y a des tas de possibilités aujourd'hui. Mais de le faire sérieusement, parce que c'est dommage. Quand il y a cette aspiration, c'est dans de rares moments dans notre existence, souvent. C'est souvent lié d'ailleurs à des inflammations émotionnelles ou des questions graves qu'on rencontre. Et ce sont des moments clés. C'est des moments de bascule dans une vie. Donc, il faut le faire bien. Je pense que ça le mérite vraiment.
Jean-Charles : Quelle est la question sur la pratique ou sur l'histoire ou sur le bouddhisme zen en général, que j'aurais dû vous poser et que vous pensez important de partager au monde, à nos auditeurs ?
Maître Wang : De faire un moment de silence partagé parce que ça fait complètement partie d'un entretien comme celui-là. Mais bon, on aurait pu le partager.
Jean-Charles : Comment ? Faisons-le, guidez-nous.
Maître Wang : C'est simple, vous vous redressez sur votre chaise, vous placez vos mains vers le ventre en les laissant bien retomber, bien reposer. Vous fermez les yeux, parce que comme on va le faire, seulement une minute, c'est plus direct. Et vous ne faites que suivre votre souffle. Cherchez pas à l'influencer. Revenez simplement dans votre respiration qui remplit, qui pénètre à tout votre corps. Vous voyez, tout devient silencieux et calme. Oui. C'est magique.
Jean-Charles : J'espère qu'on ne vous a pas perdus. En tout cas, moi, ça m'a aidé à me retrouver. Mais merci pour cette minute. Et pour cette conversation, votre sagesse et votre expérience, votre perspective passionnante sur la santé, mais sur le bien-être, l'impermanence, sur la présence, ce lien intrinsèque entre corps et esprit. Donc, un immense merci, Maître. La pratique du zen nous offre des outils très précieux, j'ai l'impression, pour cultiver la présence, l'attention, mais aussi comprendre la relation qu'on a à nos pensées. Elle nous éclaire sur notre relation à ce qui nous entoure et notre relation à nous-mêmes. Elle rejoint beaucoup de choses qu'on essaye de porter chez Alan sur une vision holistique de la santé, où le mental et le physique sont indissociables. Donc, à nos auditeurs, j'espère que cet épisode vous a inspiré à explorer cette pratique, à vous poser des questions sur votre vie quotidienne et à y mettre un peu plus d'attention et d'intention, de comprendre l'importance des rituels aussi. Un immense merci encore pour tout ça, Maître. Si vous avez trouvé cette conversation utile, partagez-la avec d'autres personnes qui pourraient en bénéficier. Et vous pouvez aussi vous abonner au podcast pour ne pas manquer les prochains épisodes de Healthier Humanity. Nous avons encore d'incroyables invités avec des approches et des perspectives très intéressantes sur la santé, le bien-être ou, encore une fois, la spiritualité. D'ici là, prenez soin de vous. Et un grand merci, encore une fois.
Maître Wang : Merci à vous.
Jean-Charles : Merci, beaucoup.
Maître Wang : Merci à vous. Et portez-vous bien.
Jean-Charles : Merci.
Maître Wang : Merci à tous les auditeurs.